Page:Stendhal - Vie de Napoléon.djvu/335

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les paysans inondèrent l’auberge, et voyant que son souper était fort mauvais, chacun à l’envi lui apporta un plat.

Le 9 mars l’empereur alla coucher à Bourgoin.

Quelquefois il y avait en avant de sa voiture une demi-douzaine de hussards, ordinairement personne, et il se trouva presque toujours à trois ou quatre lieues des troupes. Les grenadiers de l’île d’Elbe, qui étaient restés à Grenoble, rendus de fatigue, en voulurent bientôt partir, mais les plus diligents n’arrivèrent à Bourgoin qu’une heure après son départ, ce qui leur donna une ample occasion de jurer. Ils contaient aux paysans les moindres traits de sa vie à l’île d’Elbe. Après l’enthousiasme commun, le trait le plus marquant des relations des paysans avec les soldats : comme leurs habits bleus et leurs shakos étaient tout déchirés et grossièrement raccommodés avec du fil blanc, les paysans leur disaient : « L’empereur n’avait donc point d’argent à l’île d’Elbe, puisque vous êtes si mal vêtus ? » — « Ho ! il ne manquait pas d’argent, car il a bâti, fait des routes et changé tout le pays. Quand il nous voyait tristes, il nous disait : « Hé bien, grondeur, tu penses donc toujours à la France ? » — « Sire, c’est que je m’ennuie. » — « Occupe-toi à raccommoder ton