Page:Stern - Mes souvenirs, 1880.djvu/140

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en livrant mon secret, d’en faire évanouir le charme.

Je me sentais ainsi d’ailleurs sur mes compagnes une supériorité qui chatouillait mon orgueil, je me sentais jeune fille lorsqu’elles n’étaient encore que des enfants, et je cachais jalousement à tous les yeux l’objet qui captivait mon cœur. Je le cachais surtout, j’aurais voulu du moins le cacher aux regards et aux railleries de mon frère. Élève du lycée de Metz, puis de l’école de droit, il venait au Mortier passer les vacances. Nous étions alors beaucoup ensemble. Je le regardais comme un être très au-dessus de moi, non-seulement par ses six années d’avance dans la vie, mais aussi par son grand savoir, par ses voyages[1], par ses lauriers universitaires auprès desquels je ne me sentais qu’ignorance et obscurité. Maurice me plaisait, je l’aimais, j’attendais son arrivée en Touraine avec beaucoup d’impatience ; mais il m’intimidait aussi ; son esprit moqueur de collégien mettait bien mal à l’aise mes rêveries romanesques. Avec beaucoup de complaisance il s’associait à mes jeux ; mais, en les dirigeant, il en altérait le caractère. Je me rappelle entre autres que, mes imitations de jardins sur une table, dans une chambre, lui paraissant jeux de petite

  1. Mon père l’avait envoyé seul à dix-sept ans en Angleterre, pour y apprendre l’anglais : ce qui avait été fort critiqué par ses ami comme une nouveauté, dan l’éducation de la noblesse française, d’où ne pouvait rien sortir de bon. — Appendice II.