Page:Stern - Mes souvenirs, 1880.djvu/193

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tage. Il y avait entre nous comme un lien mystérieux, quelque chose de singulier qui charmait en moi, peut-être, l’Enfant de minuit. Elle m’inspirait cette ambition de vaincre l’obstacle, ce désir de l’affection exclusive qui naguère m’avait si fortement attachée à ma farouche Diane. Elle m’aurait révélé dès lors, si j’avais été capable d’observation sur moi-même, un des traits persistants, un des périls de ma vie : la promptitude à braver le qu’en dira-t-on ; le défi imprudemment jeté, et sans calculer mes forces, aux injustices de l’opinion ou de la fortune[1].

Avant de m’éloigner du couvent, je rapporterai encore un autre incident, où se peignent à la fois mes dispositions intimes et les mœurs de la communauté. J’ai dit ce qu’était pour moi madame Antonia. Son charme singulier la faisait chérir presque également des cinq autres élèves de la classe supérieure.

Le jour de sa fête approchait. Nous convînmes de nous cotiser pour lui offrir un bouquet. Je fus chargée de l’acheter, de le faire apporter en secret. Nous ne regardions pas au prix. Il fallait qu’il fût digne de notre incomparable amitié et de son objet incomparable. Ce qui fut dit fut fait. Je ne saurais exprimer

  1. Une de mes filles, faisant un jour allusion à ce penchant qui dégénérait parfois en manie et me jetait à l’aveugle en mille embarras, me disait avec enjouement : « Maman, que n’écrivez-vous, sur la porte de la maison : Secours aux blessés ! »