Page:Stern - Mes souvenirs, 1880.djvu/327

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mes cheveux blonds bouclés, ma taille et mon air de Loreley ne laissait pas de produire sur mon auditoire prévenu un effet heureux. On parlait donc beaucoup de mon talent. Un de nos habitués, le docteur Koreff, médecin du prince de Hardenberg, familier chez le prince de Talleyrand, renommé pour son esprit caustique et ses épigrammes, dit à ma mère que madame Gay et sa fille désiraient de m’entendre et de lui être présentées. Il demandait, pour ces dames, une invitation à notre prochain concert. La pensée que j’allais voir cette glorieuse Delphine, que je jouerais devant elle, que je lui parlerais, m’exalta. Dès l’enfance, mon imagination allemande se passionnait pour le génie. Un poëte, c’était pour moi un être au-dessus de tous les autres. Un poëte m’apparaissant sous les traits d’une femme, d’une belle jeune fille, un poëte charmant qui désirait me connaître, qui peut-être me donnerait son amitié, c’était de quoi me faire perdre le sang-froid et le sommeil.

Le jour du concert arriva ; Delphine entra chez nous, grave et simple ; vêtue de blanc, le regard tranquille, le front sérieux ; ses longs cheveux blonds sans ornements, retombant des deux côtés de son beau visage en riches ondulations. Elle suivait en silence sa tapageuse mère. Je lui dis à peine quelques paroles ; on m’appelait au piano. Je jouai avec émotion, avec une puissance que je ne me connaissais pas ; je fus extrêmement