Page:Stern - Mes souvenirs, 1880.djvu/331

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d’or ; aussi bonne et plus touchante dans la générosité désabusée d’une expérience sans fiel et sans rancune. Je ne parle de ces derniers temps que d’après autrui[1]. Lorsque Delphine mourut, je ne voyais ni elle, ni son mari depuis longtemps. Entre les esprits d’une certaine trempe, il se produit des chocs que ne connaissent point les âmes sans ressort. Entre gens sans fierté ou sans loyauté, on s’explique, on ment, on se réconcilie. Delphine et moi, nous n’étions pas de ceux-là. Avec des qualités très-semblables et des défauts opposés, nous devions nous attirer et nous repousser fortement. À sa mort, je compris ce que j’avais perdu en elle, ce que je ne retrouverais plus ailleurs. La mort est plus vraie que la vie. Elle nous montre, dans son funèbre miroir, ce que nous aurions dû être, ce que nous aurions pu être. Elle nous fait sentir, sous les disgrâces et les ruptures passagères, le lien éternel : nos tendresses, nos amitiés, non telles crue les fit le sort, mais telles que les avait voulues la nature.

  1. D’après Alfred de Vigny, entre autres, qui lui adressait, en 1848, celle pièce de vers : Pâleur, à madame Delphine de Girardin.