Page:Stern - Mes souvenirs, 1880.djvu/346

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déployaient dans les rues ; la garde, la ligne, les suisses, la cavalerie, l’artillerie prenaient position sur la place Louis XV, au Carrousel, sur la place Vendôme, sur les boulevards. Dans le même temps, des barricades s’élevaient de tous côtés. Chose incroyable, disait-on, le peuple criait : « vive la ligne », et la ligne hésitait à tirer sur le peuple ! Vers le soir, les rumeurs devinrent plus inquiétantes encore. Nos amis, nos voisins, nos gens, tout effarés, entraient et sortaient, chacun avec sa nouvelle sinistre. C’était l’heure où le duc de Raguse, dans son rapport au conseil, déclarait que la tranquillité était rétablie.

De toute la nuit, je ne pus fermer l’œil ; notre quartier était silencieux pourtant, mais ce silence avait quelque chose de lugubre. De grand matin, je me levai. À peine habillée, je courus au jardin. Ma mère était là déjà, interrogeant un de nos amis qui apportait les bruits du dehors. C’était le même qui, la veille, s’était réjoui si haut de la « bonne raclée » qu’allaient recevoir les émeutiers. Il ne se réjouissait plus ; il parlait bas maintenant ; il était pâle. Partout, sur son chemin, il avait vu les écussons, les enseignes aux aunes royales, les panonceaux fleurdelisés des notaires ôtés ou brisés. Vers dix heures, mon frère alla au ministère. Il revint au bout d’une heure, n’ayant pas vu M. de Polignac, qui était à Saint-Cloud. On assurait dans les bureaux que l’état de siège allait être proclamé. Il n’y