Page:Sterne - Œuvres complètes, t5-6, 1803, Bastien.djvu/15

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laisser surprendre ; c’est le sort de presque tous les princes ; mais il est dans leur sang d’être doux et modérés. Tandis que cette vérité se rendoit sensible à mon ame, je sentois sur ma joue un épanchement d’une espèce plus délicate, une chaleur plus douce et plus propice que celle que pouvoit produire le vin de Bourgogne que je venois de boire, et qui coûtoit au moins quarante sous la bouteille.

Juste Dieu ! m’écriai-je, en poussant du pied mon porte manteau de côté, qu’y a-t-il donc dans les biens de ce monde pour aigrir si fort nos esprits, et causer des querelles si vives entre ce grand nombre d’affectionnés frères qui s’y trouvent ?

Lorsqu’un homme vit en paix et en amitié avec les autres, le plus pesant des métaux est plus léger qu’une plume dans sa main. Il tire sa bourse, la tient ouverte, et regarde autour de lui, comme s’il cherchoit un objet avec lequel il pourroit la partager. C’est précisément ce que je cherchois…… Je sentois toutes mes veines se dilater ; le battement de mes artères se faisoit avec un concert admirable ; toutes les puissances de la vie accomplissoient en moi leurs mouvemens avec la plus grande facilité ; et la précieuse la plus