Page:Sterne - Œuvres complètes, t5-6, 1803, Bastien.djvu/193

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ceux qui ont passé sur le Pont-Neuf doivent avouer que c’est le pont le plus beau, le plus noble, le plus magnifique, le mieux éclairé, le plus long, le plus large qui ait jamais joint deux côtés de rivière sur la surface du globe.

À ce trait, on dirait que l’auteur du fragment n’étoit pas françois.

Le seul reproche que les théologiens, les docteurs de Sorbonne et tous les casuistes fassent à ce pont, c’est que, s’il fait du vent à Paris, il n’y a point d’endroit où l’on blasphème plus souvent la nature à l’occasion de ce météore… et cela est vrai, mes bons amis : il y soufle si vigoureusement, il vous y houspille avec des bouffées si subites et si fortes, que de cinquante personnes qui le passent, il n’y en a pas une qui ne coure le risque de se voir enlever ou de montrer quelque chose.

Le pauvre notaire, qui avoit à garantir son chapeau d’accident, appuya dessus le bout de sa canne : mais comme il passoit en ce moment auprès de la sentinelle, le bout de sa canne, en la levant, attrapa la corne du chapeau de la sentinelle, et le vent, qui n’avoit presque plus rien à faire, emporta le chapeau dans la rivière.