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PIERRE SOUCI DIT VA-DE-BONCŒUR

Ainsi donc, sans s’être rendu coupable d’aucun autre crime que celui d’avoir voulu reprendre par la force ce qu’un audacieux coquin lui avait enlevé avec violence et en plein soleil, Pierre s’était entendu condamner, — faute de déposer un cautionnement qui répondit de sa présence en Cour, au prochain terme, — à être enfermé, pendant longtemps peut-être, dans une prison, avec les plus vils criminels ; tandis que le misérable qui l’avait dépouillé pourrait continuer à exercer son industrie en plein jour, grâce à l’intercession officieuse de deux malfaiteurs de son espèce qui répondaient de lui. C’était donc pour que la justice eût son cours et que la loi fût accomplie, que Pierre se trouvait emprisonné ; lui honnête et candide étranger, débarqué de la veille, lui pauvre et innocente dupe d’une folle imagination, à qui la liberté devait être d’autant plus nécessaire, plus précieuse qu’il ne possédait guère plus rien autre chose au monde ! Qu’il était loin de se douter, ce pauvre Pierre, que de pareilles monstruosités se commettent, tous les jours, chez ce peuple si libre, si éclairé, si humain, qui étourdit le monde de ses clameurs sympathiques pour tous les opprimés et fait crever à la peine ou mourir sous le fouet des millions de créatures humaines !

Plusieurs semaines s’étaient déjà écoulées depuis l’incarcération du pauvre Pierre, et le malheureux jeune homme, en proie à un sombre désespoir, dépérissait lentement, lorsqu’un des gardiens de la prison vint lui ordonner, un matin, de le suivre chez le Directeur.

Vous êtes libre, M. Souci, lui dit ce fonctionnaire ; la personne que vous accusiez de vous avoir dérobé un portefeuille a été tuée, il y a quelques jours dans une bagarre nocturne. Je regrette, dans votre intérêt et surtout en votre qualité d’étranger nouvellement arrivé