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PIERRE CARDON.

coutaient pérorer, et dont la langue était aussi bien pendue. On voit bien qu’elle s’est levée de travers ce matin. Le beau dommage, en vérité, que la petite Martin n’ait pas fait comme sa fille qui s’est amourachée d’un pendard, d’un grand bon à rien, qui lui donne plus de coups que de pain, et qui la laisserait crever de faim avec ses pauvres enfants, plutôt que de se passer d’une chopine de rhum.

Ces paroles débitées avec une certaine emphase et d’un air moqueur et insultant, firent sourire la galerie. Seule, la Sans-Regret frappée dans son orgueil de mère et sa dignité de belle-mère, ne trahit aucune émotion sur sa figure anguleuse et parcheminée, mais jetant sur son interlocutrice triomphante un regard menaçant, elle cria d’une voix étranglée par la colère et en gesticulant des mains et de la tête :

C’est bien à toi, Tarlette ! de me parler de mon gendre. Il n’y a pas huit jours que ton beau Baptiste a encore fait maison nette et que tu en portais les marques. Ça serait-il l’eau de rivière, par hasard, qui lui donne une haleine à renverser les mouches, et c’est-y à l’église qu’il a attrapé cette figure rouge et bouffie comme une citrouille d’automne ? Tu ferais bien mieux, trigaude maudite que tu es, de veiller un peu plus à tes torchons et à ton gueux d’homme, que de venir invictimer comme ça, sur le chemin d’roi, une pauvre et honnête vieille qui ne te dit rien et ne doit rien à personne.

— Trigaude maudite vous-même, riposta la Tarlette en élevant la voix, de trigauder ainsi, sans rime ni raison, la meilleure fille du village, et de bien loin. Ma bonne vérité !… c’est bien heureux, la mère, que vous n’ayez plus de dents, car autrement la peau du pauvre monde en verrait des dures avec vous. Je mettrais ma main au feu que Monsieur le Curé n’a