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TÉLESPHORE LE BOSTONNAIS.

vrai que l’amour surexcite toutes les plus nobles facultés de l’homme, et peut transformer le lièvre même en lion.

La Mort se couvrit alors la tête de sa cagoule, pour cacher une envie de rire, et après un silence de quelques secondes, reprit en ces termes :

— Tout beau ! valeureux Télesphore, tu me fais l’effet d’un bon diable, eh bien ! je consens à ne pas être sourde pour toi, comme le prétendait tantôt ce poète malingre. Tu veux vivre… Tu t’imagines que ta Luce, ta pauvre petite Luce mourrait sans toi… soit… Tu veux même, tu prétends la rendre heureuse ;… soit encore… quoique ce beau projet me semble de beaucoup plus facile à formuler qu’à accomplir… mais enfin n’importe, tu tireras ton épingle du jeu comme tu le pourras ;… écoute, je t’accorde la vie, c’est-à-dire un répit, à une seule condition. La voici : lorsqu’après t’avoir envoyé trois avertissements personnels, je viendrai encore te chercher, en quelque circonstance que ce soit, tu m’accompagneras sans réplique.

Voilà qui est parlé, s’écria le Bostonnais, quittant d’une pirouette sa pose provocatrice.

— Ainsi donc, c’est bien entendu, trois avertissements…

— Parfaitement entendu, trois avertissements personnels, et je t’accompagnerai partout où il te plaira, et à l’heure que tu voudras…

Bonne nuit et sans rancune, fit la Mort sortant de son manteau une main décharnée que le Bostonnais ne crut pas devoir serrer par politesse.

Bon soir, bonne nuit, bon voyage ! dit-il à son tour, en fermant pour la première fois de sa vie la porte à double tour, bonsoir et au plaisir de ne te revoir jamais !…