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LES TROIS FRÈRES

l’amour aveugle, Alfred n’avait pas été sans s’apercevoir d’une terrible lacune dans l’esprit et le cœur de sa compagne. Mais comment essayer de refaire son éducation ? D’ailleurs hautaine et impérieuse comme elle était, de quel air recevrait-elle les remontrances même les plus humbles ? Et puis, somme toute, ne lui devait-il pas, en grande partie, sa position, la considération qui y était attachée et sa haute fortune ?…

Or donc, Alfred qui voulait la paix à tout prix, s’était habitué, petit à petit, à en passer par tout ce que disait ou faisait sa femme. Les enfants avaient été mis successivement en nourrice, puis dans quelqu’une des maisons d’éducation les plus en renom, tandis que pour satisfaire les fantaisies, les caprices et le luxe de Madame, le pauvre cher mari dépensait chaque année rondement et sans compter, le fonds avec le revenu.

Il est vrai de dire que tout en prodiguant les toilettes, les dîners, les bals et les soirées, Madame ne cessait de vanter les grands marchés qu’elle avait faits… le bon ordre de son administration, et l’admirable talent qu’il fallait déployer pour paraître dépenser le double et le triple de son revenu.

Sans doute, se disait Alfred à part lui, tout en courbant la tête, sans doute la maison a bonne mine, une apparence superbe… Nos soirées sont bien suivies, et ma femme fait largement les choses ; mais tout cela coûte cher, très cher, et malgré le bon ordre de son administration et les grands marchés qu’elle prétend faire, nos économies demeurent à l’état de zéro, et la situation est tendue… Mais enfin quand on s’appelle Mr. Alfred Martin de la Martinière, par autorisation ministérielle, il faut savoir soutenir l’éclat de son titre et de son rang dans la société.