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LES DEUX VOISINS.

Pierre, décidément, il faut que j’en parle à ma femme.

Et le voisin Pierre s’en alla de ce pas raconter à son épouse tout ce que venait de lui dire le voisin Jean-Baptiste, avec une éloquence qu’il ne se connaissait pas encore.

Mais si convaincu et si éloquent que fût son plaidoyer, il ne parvint à gagner qu’un point. Le reste ne valait guère la peine qu’on s’en occupât sérieusement.

Madame consentit à diminuer le nombre de ses grands diners et admit qu’il n’était pas d’une nécessité absolue d’aller si souvent en soirée.

Le voisin Pierre fit des économies pendant trois mois. Au bout de ce temps arrivèrent les marchandises du printemps et les vitrines des marchands à la mode commencèrent à se garnir de ces étoffes précieuses, de ces rubans, de ces fleurs, de ces mille oripeaux — éternelle tentation des filles d’Ève.

L’habitude est une seconde nature, et le poète qui a dit : « Chassez le naturel, il revient au galop, » a mille fois raison.

Qu’il nous suffise de citer madame Pierre qui acheta quelques douzaines d’aunes de soies et de rubans sans oublier les accessoires. Et qui donc la blâmerait cette bonne dame ? N’était-ce pas là un dédommagement qui lui était dû très-légitimement pour les trois mois d’économie que l’on venait de faire ? Et puis d’ailleurs sa fille aînée ne venait-elle pas d’accomplir sa dix-septième année, et la suivante avait quinze ans révolus. L’heure n’avait-elle pas sonné pour les produire dans les concerts, les bals, les soirées ?