Aller au contenu

Page:Stevenson - Enlevé (trad. Varlet), 1932.djvu/103

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

amassée entre les sommets des deux blocs, et il y poussait quelques fougères, dont je me fis un lit. Le dernier bruit que je perçus était le croassement des aigles.

Il pouvait être neuf heures du matin, lorsque je fus réveillé brutalement par Alan, dont la main me comprimait la bouche.

– Chut ! susurra-t-il. Vous ronfliez.

– Eh mais, dis-je, surpris de lui voir le visage anxieux et assombri, – où est le mal ?

Il lança un coup d’œil par-dessus le rebord du roc, et me fit signe de l’imiter.

Le soleil était haut et ardait dans un ciel sans nuages. La vallée apparaissait nette comme une peinture. À environ un demi-mille en amont se trouvait un campement d’habits-rouges ; ils étaient rassemblés autour d’un grand feu, sur lequel plusieurs faisaient la cuisine ; et tout près, sur le haut d’un roc presque aussi élevé que le nôtre, se tenait une sentinelle, dont les armes étincelaient au soleil. Tout le long de la rivière, vers l’aval, d’autres sentinelles se succédaient, ici très rapprochées, ailleurs plus largement espacées ; les unes comme la première, debout sur des points culminants, les autres au niveau du sol et se promenant de long en large, pour se rencontrer à mi-chemin. Plus haut dans la vallée, où le terrain était plus découvert, la chaîne de postes se prolongeait par des cavaliers, que nous voyions au loin marcher de côté et d’autre. Plus bas, c’étaient encore des fantassins ; mais comme le cours d’eau s’y enflait brusquement par l’adjonction d’un fort affluent, ils s’espaçaient davantage, et surveillaient uniquement les gués et les pierres de traverse.

Je leur jetai un simple coup d’œil et me recouchai aussitôt à ma place. C’était un spectacle étrange, de voir cette vallée, si déserte à l’aube, tout étincelante d’armes et parsemée d’habits et pantalons rouges.

– Vous le voyez, David, dit Alan, c’est bien ce que je craignais : ils surveillent les bords du torrent. Ils ont commencé d’arriver voilà environ deux heures ; mais, ami, vous êtes un rude dormeur ! Nous sommes dans une mauvaise passe. S’ils montent sur les versants de la vallée, ils n’auront pas besoin de longue-vue pour nous découvrir ; mais si par bonheur ils ne quittent pas le fond, nous pouvons nous en tirer. Les postes sont plus clairsemés, en aval ; et, vienne la nuit, nous tâcherons de passer entre deux.

– Et qu’allons-nous faire jusque-là ? demandai-je.

– Rester ici, et rissoler.

Cet authentique mot écossais, rissoler[30], résumait en effet l’histoire de cette journée que nous avions alors à passer. On doit se souvenir que nous étions sur le sommet dénudé d’un bloc de rocher, telles des châtaignes à la poêle ; le soleil tombait d’aplomb sur nous, impitoyablement ; le roc devint brûlant au point que l’on pouvait à peine en