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Page:Stevenson - Enlevé (trad. Varlet), 1932.djvu/108

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un peu bizarre, de redemander un cadeau, mais j’avoue que cela m’ennuierait d’en couper un autre.

Je lui donnai le bouton. Il le noua sur la lanière arrachée à son surtout, dont il s’était servi pour assembler la croix ; et quand il eut complété son œuvre en y attachant un petit rameau de hêtre et un de sapin, il considéra le tout avec satisfaction.

– Maintenant, dit-il, il y a un petit clachan (ce qu’on appelle un hameau, en Angleterre), pas très loin de Corrynakiegh, et il se nomme Koalisnacoan. Là demeurent quelques amis à moi auxquels je confierais ma vie, et d’autres dont je ne suis pas tout à fait aussi sûr. Voyez-vous, nos têtes valent de l’argent ; James lui-même a dû les mettre à prix ; et quant aux Campbells, ils n’épargneront rien pour nuire à un Stewart. S’il en était autrement, je redescendrais moi-même à Koalisnacoan, et remettrais ma vie entre les mains de ces gens, d’un cœur aussi léger que je confierais mon gant à d’autres.

– Mais les choses étant ainsi ?

– Les choses étant ainsi, je serais peu désireux qu’ils me voient. Il y a de mauvaises gens partout, et, qui pis est, des gens faibles. Quand donc l’obscurité reviendra, je me faufilerai jusque dans ce hameau et irai déposer cet objet que je viens de fabriquer à la fenêtre d’un bon ami à moi, John Breck Marccoll, métayer d’Appin.

– Parfait, dis-je ; et quand il aura trouvé cet objet, que pensera-t-il ?

– Eh bien, dit Alan, il serait à souhaiter qu’il eût un peu plus de jugeote, car j’ai ma foi bien peur qu’il n’y voie pas grand-chose. Mais voici ce que j’ai eu dans l’esprit. Cette croix ressemble à la croix goudronnée, ou croix de feu, qui est le signal du rassemblement, dans nos clans ; mais il comprendra bien que le clan ne doit pas se soulever, car ma croix sera posée sur sa fenêtre, sans aucune inscription. Il se dira donc en lui-même : Le clan ne doit pas se soulever, mais il se passe quelque chose. Puis il verra mon bouton, et qu’il a appartenu à Duncan Stewart. Et alors il se dira en lui-même : Le fils de Duncan est dans la bruyère et il a besoin de moi.

– Bon, dis-je, c’est entendu. Mais à supposer qu’il se le dise, il y a pas mal de bruyère depuis ici jusqu’au Forth.

– Très juste, dit Alan. Mais alors John Breck verra la branche de hêtre et le rameau de sapin, et il se dira (s’il a la moindre jugeote, ce dont malheureusement je doute) : Alan doit être caché dans un bois où il y a des sapins et des hêtres. Alors, il pensera : La chose n’est pas tellement commune dans ces parages ; et puis il viendra nous donner un coup d’œil dans Corrynakiegh. Et s’il ne le fait pas, David, le diable peut bien l’emporter, pour ce que je me soucie de lui, car il ne vaudrait pas alors le sel de son porridge.

– Eh, ami, dis-je pour rire un brin, vous êtes très ingénieux ! Mais ne serait-il pas plus simple de lui laisser quelques mots d’écrit ?

– Votre observation est excellente, monsieur Balfour de Shaws, dit Alan, plaisantant à son tour. Oui, ce serait à coup sûr beaucoup plus simple pour moi de lui écrire, mais ce serait pour John Breck un rude