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Page:Stevenson - Enlevé (trad. Varlet), 1932.djvu/110

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en regardant après nous de droite et de gauche. Il semblait moins lourd que l’autre fois, et de fait, il était apparemment bien aise d’en avoir fini avec une aussi dangereuse mission.

Il nous apportait les nouvelles du pays : celui-ci grouillait d’habits-rouges ; on découvrait des armes, et le pauvre monde avait des ennuis chaque jour ; et James avec plusieurs de ses serviteurs étaient déjà emprisonnés à Fort-William, véhémentement soupçonnés de complicité. Le bruit courait de tous côtés qu’Alan Breck avait tiré le coup de feu ; et il y avait un arrêté contre lui et moi, stipulant cent livres de récompense.

Le tout était aussi mauvais que possible, et le petit billet que le métayer nous remit, de la part de Mme Stewart, était d’une tristesse déplorable. Par ce billet, elle conjurait Alan de ne pas se laisser prendre, lui affirmant que, s’il tombait aux mains des troupes, elle le tenait, ainsi que James, pour mort. L’argent qu’elle nous envoyait était tout ce qu’elle avait pu réunir ou emprunter, et elle priait le ciel qu’il nous suffit. Enfin, elle joignait à son envoi une des affiches qui donnaient notre signalement.

Nous parcourûmes celui-ci avec beaucoup de curiosité et une crainte non moins grande, en partie comme on se regarde dans un miroir, en partie comme on regarderait dans l’âme d’un canon de fusil braqué sur soi, pour juger si sa visée est correcte. On nous décrivait Alan comme « un homme petit, grêlé, remuant, de trente-cinq ans à peu près, portant chapeau à plumes, habit à la française, bleu, à boutons d’argent, et à dentelles fort détériorées, gilet rouge et culottes de peluche noire » ; et moi comme « un garçon grand et fort d’environ dix-huit ans, portant un vieil habit bleu en haillons, un vieux bonnet de Highlander, un long gilet de laine grossière, des culottes bleues ; jambes nues, souliers des Basses-Terres, sans empeigne ; parle comme un Lowlander ; de barbe, point ».

Alan était très flatté de voir ses beaux effets si bien décrits et détaillés ; toutefois, quand il en arriva au mot « détériorées », il eut pour ses dentelles un coup d’œil plutôt mortifié. Pour moi, je trouvai que je faisais bien piètre figure sur l’affiche ; mais j’en étais d’ailleurs assez heureux, car depuis que j’avais quitté ces nippes, le signalement avait cessé d’être un danger pour devenir une source de sécurité.

– Alan, dis-je, il vous faudra changer de costume.

– Non, ma foi ! dit Alan, je n’en ai pas d’autre. Ce serait du joli, si je retournais en France avec un bonnet.

Cela me fit faire une autre réflexion ; à savoir que, si je venais à me séparer d’Alan et de ses vêtements révélateurs, je serais à l’abri d’une arrestation, et pourrais, sans plus me cacher, aller à mes affaires. Et ce n’était pas tout ; car à supposer que l’on m’arrêtât une fois seul, il n’y avait contre moi guère de présomption ; mais à supposer que je fusse pris en société de l’assassin présumé, mon cas prendrait mauvaise tournure. Par générosité, je m’abstins de dire mon avis sur ce sujet ; mais je n’en pensais pas moins.