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Page:Stevenson - Enlevé (trad. Varlet), 1932.djvu/133

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où je pus les percevoir de mon lit, par la fenêtre. Le plus étonnant, c’est qu’aucun magistrat ne vint m’interroger, et qu’on ne me posa aucune question sur l’endroit d’où je venais ni celui où j’allais ; et en ces temps agités, on ne s’inquiéta pas plus de moi que si j’avais été dans le désert. Pourtant, bien avant mon départ, ma présence était connue de tous les habitants de Balquhidder et des hameaux avoisinants ; beaucoup venaient me voir, et ceux-ci (à la mode du pays) communiquaient les nouvelles à leurs voisins. Les affiches, d’ailleurs, avaient été imprimées. Il y en avait une d’épinglée au pied de mon lit, où je pouvais lire mon propre portrait, si peu flatteur, et, en gros caractères, le prix du sang auquel était estimée ma vie. Duncan Dhu, avec tous ceux au courant de mon arrivée en compagnie d’Alan, ne pouvaient garder aucun doute sur ma personnalité ; et les autres avaient certainement leurs soupçons. Car j’avais bien pu changer de vêtements, mais non d’âge et de figure ; et les garçons des Basses-Terres âgés de dix-huit ans n’étaient pas si communs dans cette partie du monde, et surtout dans ces temps-là, pour qu’on pût manquer d’établir un lien entre les choses, et de me retrouver sur l’affiche. C’était bien le cas, du reste. Ailleurs, on garde un secret entre deux ou trois amis intimes, et quelquefois il transpire ; mais chez ces membres de clan, un secret dit à toute une région sera gardé tout un siècle.

Il n’arriva qu’un incident digne d’être mentionné ; ce fut la visite que je reçus de Robin Oig, l’un des fils du notoire Rob Roy. On le recherchait de tous côtés sous l’inculpation d’avoir enlevé une jeune femme de Balfron et de l’avoir épousée (affirmait-on) de force. Il ne s’en promenait pas moins dans Balquhidder, à l’instar d’un gentilhomme entre les quatre murs de sa propriété. C’était lui qui avait tué James Maclaren aux brancards de sa charrue, et la querelle n’était pas vidée ; néanmoins il pénétrait sous le toit de ses ennemis comme un voyageur de commerce entre dans une auberge publique.

Duncan eut le temps de me glisser le nom du visiteur ; et nous nous entre-regardâmes avec inquiétude. Il faut savoir que l’heure approchait de la venue d’Alan ; il était peu probable que l’un et l’autre se convinssent ; et toutefois si nous cherchions à l’avertir ou à lui faire un signe, nous ne manquerions pas de mettre sur ses gardes un homme aussi compromis que le Macgregor.

Il déploya en entrant beaucoup de politesse, mais comme s’il les adressait à des inférieurs ; il tira son bonnet à Mme Maclaren, mais le renfonça sur sa tête pour parler à Duncan ; puis, ayant ainsi bien établi les distances (croyait-il) il s’approcha de mon lit et s’inclina.

– On m’a dit, monsieur, que vous vous nommez Balfour.

– Je m’appelle David Balfour, dis-je, pour vous servir.

– Je vous dirais bien aussi mon nom, monsieur, répondit-il, s’il n’était un peu terni depuis quelque temps ; et peut-être vous suffira-t-il de savoir que je suis le propre frère de James Mac Drummond ou Macgregor, dont vous ne pouvez manquer d’avoir ouï parler.