Aller au contenu

Page:Stevenson - Enlevé (trad. Varlet), 1932.djvu/150

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

C’était la farce la plus évidente, et je m’étonnais que le notaire tînt à la prolonger ; mais, au fait, elle était bien dans les mœurs de l’époque, alors qu’il y avait deux partis dans l’État, et que les gens paisibles, sans opinions bien tranchées à eux, cherchaient tous les moyens pour éviter de froisser l’un et l’autre.

– Bien, bien, dit le notaire, après que j’eus fini, c’est un vrai poème épique, une odyssée véritable que votre histoire. Il vous faudra, monsieur, la mettre en bon latin, lorsque vos études seront plus avancées ; ou même en anglais, si vous voulez, quoique pour ma part je préfère la langue classique, plus vigoureuse et expressive. Vous avez beaucoup roulé : quae regio in terris[41]… quelle paroisse d’Écosse (traduction libre) n’a pas retenti de vos exploits ? Vous avez montré d’ailleurs une propension singulière à vous mettre dans de fausses positions ; mais aussi, après tout, à vous y bien comporter. Ce M. Thomson me paraît un gentilhomme non dénué de précieuses qualités, quoique peut-être un peu sanguinaire. Il ne me déplairait pas le moins du monde qu’avec tous ses mérites) il fût au fond de la mer du Nord, car cet homme, M. David, nous est un cruel embarras. Mais vous avez parfaitement raison de lui manifester pareil attachement ; sans nul doute, il vous a prouvé le sien. It comes[42] – pouvons-nous dire ; – il fut votre sincère ami ; et non moins paribus curis vestigia figit[43] car j’ose dire que vous n’aviez qu’une pensée au sujet de la potence. Mais baste, ces jours sont heureusement révolus ; et je crois (selon toute humaine vraisemblance) que vous allez voir la fin de vos maux.

Tout en moralisant de la sorte sur mes aventures, il me regardait avec tant de bonne humeur et de bienveillance que je contenais à peine ma satisfaction. J’avais été si longtemps errant parmi des gens sans aveu, à faire mon lit sur les montagnes et à ciel ouvert, que j’étais au septième ciel de me retrouver assis sous un toit, dans une maison bien tenue, à causer amicalement avec un gentleman bien vêtu. J’en étais là de mes réflexions lorsque mes yeux tombèrent sur mon ignoble défroque, et la confusion me ressaisit aussitôt. Mais le notaire vit mon regard et comprit. Il se leva, cria dans la cage d’escalier de mettre un second couvert ; car M. Balfour resterait à dîner, et me conduisit à une chambre à coucher située à l’étage supérieur. Une fois là, il mit devant moi de l’eau et du savon, avec un peigne ; il sortit des vêtements qui appartenaient à son fils ; puis, me disant à tantôt, il me laissa faire ma toilette.