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Page:Stevenson - Enlevé (trad. Varlet), 1932.djvu/31

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de chez eux. Mais cela, c’était avant que le bruit ne courût au sujet de M. Alexandre ; – à propos de sa mort.

– Quel bruit ? demandai-je.

– Oh ! simplement qu’il l’aurait tué, dit le patron. Ne l’avez-vous pas ouï dire ?

– Et pourquoi l’aurait-il tué ?

– Pourquoi, sinon pour avoir le château ?

– Quel château ? Shaws ?

– Nul autre, que je sache.

– Quoi, l’ami, dis-je, en vérité ? Est-ce que mon… est-ce qu’Alexandre était le fils aîné ?

– Bien sûr, dit le patron. Autrement, pourquoi l’aurait-il tué ?

Et là-dessus il partit, comme il attendait impatiemment de le faire depuis le début.

Naturellement, j’avais deviné tout cela depuis longtemps ; mais deviner est une chose, et savoir en est une autre. Je restai abasourdi par ce coup de bonne fortune. Je pouvais difficilement me figurer que ce même pauvre garçon qui avait piétiné dans la poussière depuis Ettrick Forest, deux jours auparavant, était aujourd’hui l’un des riches de la terre, possédant un château et de vastes terres, et qu’il pouvait dès demain matin monter son cheval. Ces agréables idées, et mille autres, se pressaient en foule dans mon esprit, cependant que je regardais droit devant moi par la fenêtre de l’auberge sans faire attention à ce que je voyais. Mais à la fin mes yeux se fixèrent sur le capitaine Hoseason debout sur la jetée au milieu de ses matelots et leur parlant avec autorité. Peu après il s’en revint sur ses pas vers la maison, sans rien de cette lourdeur qui caractérise l’homme de mer, redressant sa haute taille avec une allure virile, et portant toujours sur ses traits la même expression grave et réfléchie. Je me demandai s’il était possible que les histoires de Ransome fussent réelles, et je n’y croyais plus qu’à moitié, tant elles s’accordaient mal avec l’aspect de cet homme. Mais, en réalité, il n’était pas aussi bon que je le supposais, ni du tout aussi méchant que le faisait Ransome ; car il y avait en lui deux hommes, et il laissait le meilleur à terre en mettant le pied à bord de son navire.

Après cela, je m’entendis appeler par mon oncle, que je trouvai sur la route avec le capitaine. Ce fut ce dernier qui m’adressa la parole, et ce (chose très flatteuse pour moi) d’un air grave, comme à son égal.

– Monsieur, dit-il, M. Balfour me dit le plus grand bien de vous ; et pour ma part votre mine me revient. Je voudrais demeurer plus longtemps ici, afin de faire plus ample connaissance avec vous ; mais il nous faut profiter du peu de temps que nous avons. Vous allez venir passer une demi-heure à bord de mon brick, jusqu’à ce que le jusant soit établi, et nous boirons un bol de punch ensemble.

Or, j’aspirais indiciblement à voir l’intérieur d’un navire ; toutefois, je ne voulais pas me jeter dans la gueule du loup, et je répondis que mon oncle et moi avions rendez-vous avec un avoué.

– Oui, oui, dit-il, il m’en a touché deux mots. Mais écoutez : le canot