Aller au contenu

Page:Stevenson - Enlevé (trad. Varlet), 1932.djvu/47

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

devait aimer les gens distingués, j’ajoutai pour la première fois : – de Shaws.

L’idée ne lui vint pas de mettre en doute ma parole, car un Highlander a l’habitude de voir des gens de la plus haute noblesse dans la plus grande pauvreté ; mais comme lui-même n’avait pas de particule, la puérile vanité qu’il portait en lui se révolta.

– Mon nom est Stewart, dit-il, en se redressant. C’est Alan Breck qu’on m’appelle. Un nom de roi me paraît bon assez, quoique je le porte tout simple, sans aucun nom de ferme à ajouter au bout.

Et, après m’avoir administré cette rebuffade, comme s’il s’agissait d’un sujet de la plus haute importance, il s’occupa d’inventorier nos moyens de défense.

La dunette était bâtie très solidement, pour résister aux coups de mer. De ses cinq ouvertures, le vasistas et les deux portes étaient assez larges pour laisser passer un homme. Les portes, d’ailleurs, pouvaient se clore hermétiquement ; elles étaient en cœur de chêne, à coulisses, et munies de crochets pour les tenir fermées ou bien ouvertes, selon le besoin. Celle qui était déjà fermée, je l’assujettis de cette manière, et j’allais faire glisser l’autre à sa place, lorsque Alan m’arrêta.

– David, dit-il – car je ne puis me rappeler le nom de votre terre, et je me permettrai donc de vous appeler David tout court – cette porte ouverte est la meilleure de nos défenses.

– Il vaudrait mieux la fermer, dis-je.

– Non pas, David, dit-il. Voyez-vous, je n’ai que deux yeux ; mais aussi longtemps que cette porte sera ouverte et que j’y aurai les yeux, la plupart de mes ennemis seront en face de moi, là même où je souhaite les trouver.

Puis il me donna un coutelas tiré du râtelier (où il y en avait quelques-uns, outre les armes à feu), le choisissant avec grand soin, tout en hochant la tête et disant qu’il n’avait jamais vu d’aussi pitoyables armes ; et ensuite il m’attabla devant une poire à poudre, un sachet de balles et tous les pistolets, qu’il me donna ordre de charger.

– Et ce sera là une meilleure besogne, permettez-moi de vous le dire, pour un gentilhomme de bonne naissance, que de frotter des assiettes et verser à boire à de vils goudronnés de marins.

Là-dessus, il se campa au milieu de la pièce, faisant face à la porte, et, tirant sa longue rapière, fit l’épreuve du champ disponible.

– Il faut que je m’en tienne aux coups de pointe, dit-il, en hochant la tête, et c’est très regrettable. Cela ne convient pas à mon genre, qui est surtout la garde haute. Et maintenant, chargez-nous ces pistolets, et faites attention à ce que je vais vous dire.

Je lui promis de ne pas perdre un mot. J’avais la gorge serrée, la bouche sèche, les yeux troubles ; la pensée de tous ces individus qui allaient bientôt fondre sur nous me faisait battre le cœur ; et la mer, que j’entendais clapoter alentour du brick, et où je songeais que mon cadavre serait jeté avant le matin, la mer m’obsédait étrangement.

– Tout d’abord, combien sont-ils contre nous ? demanda-t-il.