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Page:Stevenson - Enlevé (trad. Varlet), 1932.djvu/50

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invincible. À ses pieds, M. Shuan gisait sur le plancher, à quatre pattes ; le sang lui sortait de la bouche ; et il s’affaissait de plus en plus, effroyablement pâle. Mais tandis que je le regardais, ceux de derrière la porte le saisirent aux talons et l’entraînèrent hors de la dunette. Il dut expirer en cet instant même.

– Voilà toujours un de vos whigs en moins ! s’écria Alan ; puis se tournant vers moi, il demanda si j’avais fait beaucoup de besogne.

Je lui répondis que j’en avais touché un, le capitaine, me semblait-il.

– Et moi, j’en ai abattu deux, dit-il… Non ; il n’y a pas encore assez de sang versé ; ils vont revenir. À votre poste, David. Ce n’était là que la goutte avant le repas.

Je repris ma place, rechargeant les trois pistolets que j’avais tirés, l’œil et l’oreille aux aguets.

Nos ennemis étaient, non loin sur le pont, en train de discuter, à voix haute si haute que deux ou trois mots parvinrent jusqu’à moi, dominant le bruit des flots.

– C’est Shuan qui s’y est mal pris, disait une voix.

Et un autre répondit :

– Taisez-vous donc. C’est lui qui a « payé le poivre ».

Les voix se perdirent dans un murmure confus. Mais cette fois, quelqu’un parlait presque toujours seul, comme pour exposer un plan ; après quoi, il y eut deux ou trois réponses brèves, comme si les hommes avaient reçu des ordres. Je conclus qu’ils allaient revenir à la charge, et avertis Alan.

– C’est ce que nous devons souhaiter, dit-il. Tant que nous n’aurons pas fini par les dégoûter de nous, il n’y aura pas de sommeil ni pour vous ni pour moi. Mais à présent, attention, cela va devenir sérieux.

Mes pistolets étaient prêts, et je n’avais rien à faire que d’écouter et d’attendre. Durant la lutte, il ne m’était pas même resté le loisir d’avoir peur ; mais depuis que tout était tout redevenu calme, je ne songeais plus qu’à cela. L’idée des épées affilées, le froid de l’acier me hantaient ; aussi, au moment où j’entendis s’approcher des pas furtifs, et où des vêtements d’hommes frôlèrent la muraille de la dunette, je compris qu’ils prenaient leurs postes dans l’ombre, et faillis pousser un cri.

Cela se passait du côté d’Alan ; et je me figurais presque n’avoir plus de rôle à jouer dans le combat, quand je perçus le bruit d’une chute étouffée, sur le toit, au-dessus de ma tête.

Un coup de sifflet retentit. C’était le signal. Une troupe serrée s’élança, coutelas au poing, contre la porte ; au même moment, le carreau du vasistas vola en éclats, et un homme passa au travers, qui se laissa tomber sur le plancher. Avant qu’il se fût relevé, je lui avais mis un pistolet entre les deux épaules, et j’allais le tuer ; mais au contact de cet être vivant, ma chair se révolta, et je fus aussi incapable de presser sur la gâchette que je l’eusse été de m’envoler.

Il avait perdu son coutelas en tombant, et quand il sentit le pistolet le toucher, il se déroba vivement et me saisit à-bras-le-corps, avec un