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Page:Stevenson - Enlevé (trad. Varlet), 1932.djvu/74

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sans mortier ; et devant, sur un tertre, un vieux gentleman était assis, fumant sa pipe au soleil.

Grâce au peu d’anglais qu’il savait, il me fit comprendre que mes compagnons de bord étaient arrivés à terre sains et saufs, et qu’ils avaient cassé la croûte dans cette maison même.

– Y en avait-il un, demandai-je, vêtu comme un gentilhomme ?

Il me répondit que tous portaient de grands surtouts grossiers ; toutefois, celui qui était venu seul portait culottes et bas, tandis que les autres avaient des pantalons de matelots.

– Ah ! dis-je, et il avait sans doute aussi un chapeau à plume ?

Il me répondit que non, et qu’il était nu-tête, comme moi.

Je crus d’abord qu’Alan avait perdu son chapeau ; mais ensuite je me souviens de la pluie, et jugeai plus vraisemblable qu’il l’avait mis à l’abri sous son surtout. L’idée me fit sourire, tant parce que mon ami était sauvé, qu’à cause de sa fatuité en matière de costume.

Mais le vieux gentleman, se frappant le front, s’écria que je devais être le garçon au bouton d’argent.

– Mais oui, répondis-je, un peu étonné.

– Eh bien, alors, dit le vieux gentleman, je suis chargé de vous dire que vous devez rejoindre votre ami dans son pays, près de Torosay.

Il me demanda ensuite comment je m’en étais tiré, et je lui contai mon histoire. Un homme du sud aurait certainement ri ; mais ce vieux gentleman (je l’appelle ainsi à cause de ses manières, car il n’avait que des loques sur le dos) m’écouta jusqu’au bout sans manifester autre chose qu’une compassion sérieuse. Quand j’eus fini, il me prit par la main, m’introduisit dans sa cahute (c’est le mot) et me présenta à sa femme comme si elle eût été la reine et moi un duc.

La bonne ménagère posa devant moi un pain d’avoine et un coq de bruyère froid, tout en me tapotant l’épaule et me souriant, car elle ne savait pas l’anglais ; et le vieux gentleman (pour ne pas être en reste) me fit un punch très fort de leur eau-de-vie locale. Tout le temps que je mangeai, et ensuite en buvant le punch, je pouvais à peine croire à mon bonheur ; et la maison, bien qu’elle fût obscurcie par la fumée de la tourbe et pleine de trous comme une écumoire, me faisait l’effet d’un palais.

Le punch me procura une forte transpiration et un sommeil sans rêves ; les bonnes gens me laissèrent dormir ; et il était près de midi, le lendemain, lorsque je repris la route, la gorge déjà en meilleur état, et mon courage tout à fait restauré par le bon gîte et les bonnes nouvelles. J’eus beau presser le vieux gentleman, il ne voulut pas accepter d’argent, et il me donna même un vieux bonnet pour me couvrir la tête ; mais je reconnais volontiers que je ne fus pas plus tôt hors de vue de sa maison, que je lavai soigneusement ce cadeau dans une fontaine au bord de la route.

Et je me disais : « Si ce sont là les sauvages Highlanders, je souhaiterais voir mes compatriotes aussi sauvages. »

Non seulement j’étais parti tard, mais je dus me fourvoyer la moitié