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Page:Stevenson - Enlevé (trad. Varlet), 1932.djvu/86

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à terre sous le bois de Lettermore (ou Lettervore, car j’ai entendu prononcer des deux façons), dans le pays d’Alan, Appin.

Ce bois était formé de hêtres, qui poussaient sur un flanc de montagne abrupt et crevassé dominant le loch. Il était percé de trouées garnies de fougères, et traversé en son milieu, du nord au sud, par une route ou voie cavalière, au bord de laquelle se trouvait une fontaine. Ce fut là que je m’assis pour manger du pain d’avoine de M. Henderland, et réfléchis à ma situation.

J’y fus harcelé, non seulement par une nuée de moustiques féroces, mais par les doutes de mon esprit. Que devais-je faire ? Pourquoi aller rejoindre un homme comme Alan, peut-être un assassin ? Ne serait-il pas plus sage de regagner tout droit le pays du sud, par ma simple jugeote et à mes frais ? Que penseraient de moi M. Campbell et même M. Henderland, lorsqu’ils viendraient à connaître ma folle présomption ? – Tels étaient les doutes qui m’assaillaient alors, plus véhéments que jamais.

Comme j’étais assis à réfléchir de la sorte, je perçus, venant du bois, le bruit d’une troupe d’hommes et de chevaux ; et peu après, au tournant de la route, quatre voyageurs parurent. Le chemin était à cette place si étroit et mauvais qu’ils marchaient en file et menaient leurs montures par la bride. Le premier était un grand gentleman à cheveux rouges, au visage impérieux et congestionné, qui tenait son chapeau à la main pour s’éventer, car il était suant et hors d’haleine. À son correct vêtement noir et à sa perruque blanche, je reconnus le second pour un notaire. Le troisième était un valet, et plusieurs pièces de son costume étaient de tartan, ce qui me fit voir que son maître appartenait à une famille highlander, et était en outre ou bien hors la loi, ou bien en singulièrement bonne odeur auprès des autorités, car le port du tartan était contraire à la loi. Eussé-je été mieux au courant de ces choses, j’aurais vu que son tartan était aux couleurs d’Argyle (ou Campbell). Ce serviteur avait un portemanteau volumineux bouclé sur son cheval, et un filet de citrons (destinés à la confection du punch) pendu à l’arçon de sa selle : – coutume assez générale chez les voyageurs aimant leurs aises, dans cette partie du pays.

Pour le quatrième, qui fermait la marche, j’avais déjà vu son pareil, et je reconnus tout d’abord en lui un huissier du sheriff.

Je n’eus pas plutôt vu venir ces gens, que je me résolus (sans raison déterminée) à poursuivre mon aventure ; et quand le premier fut arrivé à ma hauteur je me levai d’entre les fougères et lui demandai la route d’Aucharn.

Il fit halte et me considéra, d’un air que je trouvai singulier ; et puis, se tournant vers le notaire, – « Mungo, dit-il, beaucoup tiendraient bon compte de cet avertissement. Me voici sur la route de Duror pour l’affaire que nous savons ; et voici un jeune homme qui sort tout juste de la fougeraie, et s’enquiert si je suis sur la route d’Aucharn.

– Glenure, dit l’autre, ce n’est pas là un sujet de plaisanterie.

Tous deux s’étaient alors rapprochés de moi et me considéraient de