Aller au contenu

Page:Stevenson - Enlevé (trad. Varlet), 1932.djvu/9

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

rencontrer un régiment qui marchait à la fois de tous ses pieds suivant la cadence des fifres, précédé par un vieux général à figure rouge monté sur un cheval gris, et suivi d’une compagnie de grenadiers, coiffés de bonnets de pape. L’orgueil de vivre m’emplit la cervelle, à voir les habits rouges et à entendre leur musique joyeuse.

Un peu plus loin, on me dit que j’étais sur la paroisse de Cramond, et je commençai à m’informer du château de Shaws. Ce nom paraissait surprendre ceux à qui je demandais mon chemin. Je me figurai d’abord que mon apparence rustique et la simplicité de mon costume tout poudreux s’accordaient mal avec la grandeur de l’endroit en question. Mais après avoir, deux ou trois fois, reçu la même réponse, faite du même air, je finis par comprendre que c’était le nom même de Shaw qui les interloquait.

Afin de me tranquilliser, je tournai ma question autrement ; et avisant un brave homme assis sur le brancard de sa charrette, qui débouchait d’une traverse, je lui demandai s’il connaissait une maison appelée le château de Shaws.

Il arrêta son cheval et me regarda ainsi que les autres.

– Oui, dit-il. Pourquoi ?

– Est-ce un grand château ?

– Sans doute. C’est un très grand château.

– Oui, mais les gens qui l’habitent ?

– Les gens ? s’écria-t-il. Êtes-vous fou ? Il n’y a pas de gens là – ce qu’on appelle des gens.

– Comment ! Et M. Ebenezer ?

– Ah ! si ! dit l’homme ; il y a le laird, si c’est lui que vous cherchez. Que pouvez-vous bien lui vouloir, l’ami ?

– Je m’étais laissé dire que je trouverais une place chez lui, dis-je, m’efforçant de prendre un air modeste.

– Hein ! s’écria le charretier, d’un ton si perçant que son cheval en tressaillit ; puis plus doucement :

– Ma foi, l’ami, ce ne sont pas mes affaires ; mais vous me semblez un garçon raisonnable ; et si vous voulez m’en croire, vous passerez au large de Shaws.

L’individu que je rencontrai ensuite était un sémillant petit homme à perruque blanche, que je reconnus pour un barbier en tournée ; et, sachant que les barbiers sont grands bavards, je lui demandai tout à trac quel genre d’homme était M. Balfour de Shaws ?

– Tut ! tut ! dit le barbier ; ce n’est pas un homme ; non, pas un homme du tout.

Et il m’interrogea fort curieusement sur mes affaires ; mais je lui tins tête comme il faut, et il s’en alla chez son prochain client sans être mieux renseigné.

Je ne saurais exprimer quel coup tout cela portait à mes illusions. Plus vagues étaient les accusations, moins elles m’agréaient, car elles laissaient le champ libre à l’imagination. Que pouvait bien avoir ce grand château, pour que chacun, dans la paroisse, tressautât et me regardât