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Page:Stevenson - Enlevé (trad. Varlet), 1932.djvu/93

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– Et maintenant, donnons encore un peu de fil à retordre aux habits-rouges, dit Alan.

Et il m’entraîna vers la lisière nord-est du bois.

En regardant entre les fûts, on découvrait un vaste versant de montagne, qui dévalait très abrupt dans les eaux du Loch. C’était un terrain difficile, hérissé de pierres branlantes, de bruyères et de souches de hêtres ; et tout là-bas, vers Balachulish, de minuscules soldats rouges s’en allaient par monts et par vaux, plus petits à chaque minute. Leurs cris avaient cessé, et j’aime à croire qu’ils avaient d’autre emploi pour le peu qui leur restait de souffle ; mais ils s’attachaient toujours à la piste, et nous croyaient sans doute devant eux.

Alan riait tout seul en les regardant.

– Ouais, dit-il, ils seront plutôt las avant d’être au bout ! Et donc vous et moi, David, pouvons nous asseoir et manger un morceau, et respirer un brin, et boire une lampée à ma gourde. Ensuite nous irons à Aucharn, chez mon parent James des Glens, où je dois prendre mes habits, mes armes, et de l’argent pour notre voyage. Et alors, David, nous pourrons crier : « À nous, Fortune ! » et nous couperons par la bruyère.

Nous restâmes donc pour manger et boire, en un lieu d’où l’on voyait le soleil s’abaisser sur un panorama de ces grandes et farouches montagnes désertes où j’étais désormais condamné à errer avec mon compagnon. Ce fut en partie alors, en partie plus tard, chemin faisant vers Aucharn, que nous nous contâmes réciproquement nos aventures. Je rapporterai ici de celles d’Alan ce qui me paraît le plus intéressant ou utile.

Aussitôt que la lame eut passé, il courut aux bastingages, il m’aperçut, me perdit de vue, me redécouvrit, ballotté dans le raz ; et finalement, il m’entrevit m’agrippant à la vergue. Ce détail lui donna l’espoir que je finirais bien par arriver à terre, et lui inspira de laisser derrière lui ces indications et ces messages qui m’avaient amené (pour mes péchés) jusqu’en ce malencontreux pays d’Appin.

Cependant, ceux qui étaient restés sur le brick avaient mis à la mer la yole, et deux ou trois matelots y avaient déjà pris place, quand survint une deuxième lame, plus haute que la première, qui enleva le brick et l’aurait sans doute envoyé au fond, s’il n’avait rencontré une saillie de roc, où il resta échoué. Quand il avait touché d’abord, ç’avait été par l’avant, de sorte que la poupe était restée jusqu’ici la plus basse. Mais cette fois la poupe fut projetée en l’air, et l’avant plongea sous les flots ; et à l’instant, l’eau commença de s’engouffrer dans le gaillard d’avant comme un ru de moulin.

Je vis Alan pâlir rien qu’à me conter la suite. Car il y avait deux hommes cloués par leurs blessures dans les couchettes ; et ceux-ci, devant l’invasion de l’eau et s’imaginant que l’on sombrait, se mirent à pousser des cris si déchirants que tous ceux qui se trouvaient sur le pont se jetèrent pêle-mêle dans la yole et s’éloignèrent à force de rames. Ils n’étaient pas à deux cents yards, que survint une troisième