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Page:Stevenson - Enlevé (trad. Varlet), 1932.djvu/99

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– Eh bien, monsieur, me dit Alan, que dites-vous de tout cela ? Vous êtes ici sous la sauvegarde de mon honneur, et c’est mon rôle de veiller à ce que rien ne soit fait que ce qui vous plaira.

– Je n’ai qu’un simple mot à dire, répliquai-je, car je suis parfaitement étranger à cette discussion. Mais le vulgaire bon sens nous ordonne de rejeter la responsabilité sur celui à qui elle incombe, c’est-à-dire, dans le cas présent, sur l’homme qui a tué. Affichez-le, comme vous dites, dirigez sur lui le pourchas ; et que d’honnêtes et innocents individus puissent se montrer sans crainte.

Mais à cette proposition, Alan et James se récrièrent d’horreur, m’adjurant de tenir ma langue ; il n’y avait pas à y songer, ajoutèrent-ils ; car que diraient les Camerons ? (ceci me confirma dans l’idée qu’un Cameron avait sans doute fait le coup), et ne voyais-je donc pas que le garçon pourrait être pris ? – « Vous n’y pensiez sûrement pas ? » conclurent-ils, avec un sérieux si ingénu que les bras m’en tombèrent et que je désespérai de les convaincre.

– Très bien donc, dis-je, affichez-moi si cela vous amuse, affichez Alan, affichez le roi George ! Nous sommes tous les trois innocents, et il paraît que c’est justement ce qu’il vous faut. Mais en tout cas, monsieur, dis-je à James, me ressaisissant après ce léger accès d’humeur, je suis l’ami d’Alan, et si je puis être utile à ses amis, je ne renâclerai pas devant le danger.

Je crus d’autant plus opportun de céder de bonne grâce que je voyais le trouble d’Alan ; et de plus (me disais-je en moi-même) sitôt que j’aurais le dos tourné, ils ne manqueraient pas de m’afficher, comme ils parlaient, que j’y consentisse ou non. Mais sur ce point je vis que je me trompais ; car je n’eus pas plus tôt achevé ma phrase que, d’un bond, Mme Stewart se levait de son fauteuil, courait à nous, et venait pleurer d’abord sur mon épaule, puis sur celle d’Alan, remerciant Dieu de notre bonté envers sa famille.

– Quant à vous, Alan, ce n’était rien que votre devoir strict, dit-elle. Mais pour ce garçon qui, en arrivant ici, nous a vus sous un aussi triste jour, et a vu le père faire figure de solliciteur, lui qui aurait plutôt le droit de commander à l’instar d’un roi, – pour vous, mon garçon, reprit-elle, j’ai le cœur navré de ne pas savoir votre nom, mais je me rappelle vos traits ; et aussi longtemps que mon cœur battra dans ma poitrine, je ne cesserai de penser à vous et de vous bénir.

Et là-dessus elle m’embrassa et de nouveau éclata en sanglots, au point que j’en demeurai confus.

– Allons, allons, dit Alan, d’un air un peu sot. Le jour vient de très bonne heure en ce mois de juillet ; et demain il y aura un joli remue-ménage en Appin, une jolie cavalcade de dragons, et on criera : « Cruachan[28] » et les habits-rouges courront ; cela doit nous engager, vous et moi, à partir au plus vite.