Page:Stevenson - L’Île au trésor, trad. André Laurie.djvu/94

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

s’abattit à mes pieds. Le squire et moi nous eûmes bientôt riposté, mais, comme nous tirions au jugé, ce fut probablement en pure perte. À peine avions-nous rechargé nos armes, que notre attention se tourna vers le malheureux Redruth. Le capitaine et Gray l’avaient déjà soulevé dans leurs bras. Du premier coup d’œil je vis qu’il était perdu.

La promptitude de notre riposte avait sans doute intimidé les rebelles, car nous eûmes tout le temps de faire passer le pauvre garde-chasse par-dessus la palissade et de l’emporter, geignant et sanglant, jusqu’à l’intérieur du blockhaus. Le brave homme n’avait pas prononcé un seul mot d’étonnement, d’inquiétude ou même d’improbation, depuis l’ouverture des hostilités jusqu’à l’instant où nous l’allongeâmes sur le sol de notre refuge, pour y mourir. Bravement, il était resté à son poste derrière la grille de la coursive ; silencieux et résolu, il avait obéi à tous nos ordres ; et maintenant il était frappé le premier, lui, notre aîné de vingt ans à tous !… Le squire tomba à genoux auprès de lui, en pleurant comme un enfant ; il prit la main de son vieux garde-chasse et la baisa.

« Est-ce que je m’en vais, docteur ? me demanda le blessé d’une voix faible.

— Vous allez au repos éternel, mon brave, lui dis-je avec la franchise qu’il réclamait de moi.

— J’aurais aimé à leur envoyer une balle ou deux ! fit-il avec un soupir.

— Mon pauvre Redruth, dites-moi que vous me pardonnez ! murmura le squire.

— Ce ne serait guère respectueux, maître, protesta le vieux serviteur… ; mais, puisque vous le désirez — Amen !… »

Après un moment de silence, il dit qu’il souhaitait que quelqu’un lût une prière.

« C’est l’usage, Monsieur ! » ajouta-t-il en manière d’excuse.

Puis il expira, sans avoir prononcé d’autres paroles.

Cependant le capitaine était en train de vider ses poches, et ce qu’il en tirait me donnait enfin l’explication des bosses singulières que j’avais remarquées sur sa personne depuis que nous avions quitté le schooner : c’étaient des pavillons anglais, un rouleau de corde, un encrier, des plumes, le livre du bord, plusieurs paquets de tabac et d’autres choses encore. Il avait déjà trouvé un sapin de bonne longueur couché dans l’enclos de la palissade, et, avec l’aide de Hunter, il le dressait à l’un des angles du blockhaus, dans l’entrecroisement des troncs d’arbres. Grimpant alors sur le toit, il attacha un pavillon à sa corde, et, de ses propres mains, il le hissa au mât.

Cela fait, il parut beaucoup plus à son aise, et se mit à faire le dénombrement de nos provisions, comme s’il n’y avait pas au monde