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MON AVENTURE EN MER

Trésor. Que le soleil flamboyât au zénith, que l’air fût sans un souffle et les eaux ailleurs lisses et bleues, malgré tout ces grandes lames déferlantes tonnaient jour et nuit, tout le long du rivage extérieur ; je ne crois pas qu’il y eût un seul point de l’île d’où l’on pût ne pas entendre leur bruit.

Je m’avançai en longeant les brisants, d’un pas fort allègre. Quand je me crus arrivé assez loin dans le sud, je mis à profit le couvert de quelques épais buissons et me glissai précautionneusement jusque sur la crête de la langue de terre.

J’avais derrière moi la mer, en face le mouillage. Comme si elle s’était épuisée plus tôt que d’habitude par sa violence inusitée, la brise de mer tombait déjà : il s’élevait à sa place un vent léger et instable, variant du sud au sud-est, qui amenait de grands bancs de brume, et le mouillage, abrité par l’îlot du Squelette, était lisse et plombé comme au jour de notre arrivée. Dans ce miroir sans ride, l’Hispaniola se reflétait exactement, depuis la pomme des mâts jusqu’à la flottaison, y compris le Jolly Roger qui pendait à sa vergue d’artimon.

Le long du bord flottait une des yoles, commandée par Silver — lui, je le reconnaissais toujours — vers qui se penchaient, appuyés au bastingage arrière, deux hommes dont l’un, en bonnet rouge, était ce même scélérat que j’avais vu quelques heures auparavant à califourchon sur la palissade. Probablement, ils causaient et riaient, mais à cette distance — plus d’un mille — je ne pouvais, cela va de soi, entendre un mot de ce qu’ils disaient. Tout à coup, retentirent des hurlements affreux et inhumains qui me terrifièrent tout d’abord, mais j’eus tôt fait de reconnaître la voix de Capitaine Flint, et je crus même, à son brillant plumage, distinguer l’oiseau posé sur le poing de son maître.