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LE VIEUX FLIBUSTIER

la part d’autrui. Est-ce là une conduite digne d’un marin, je te le demande ? Mais je suis économe dans l’âme, moi. Jamais je n’ai gaspillé, ni perdu mon bon argent, et je leur ferai encore la nique. Je n’ai pas peur d’eux. Je vais larguer un ris, camarade, et les distancer à nouveau.

Tout en parlant ainsi, il s’était levé de sa couche, à grand-peine, en se tenant à mon épaule, qu’il serrait quasi à me faire crier, et mouvant ses jambes comme des masses inertes. La véhémence de ses paroles, quant à leur signification, contrastait amèrement avec la faiblesse de la voix qui les proférait. Une fois assis au bord du lit, il s’immobilisa.

— Ce docteur m’a tué, balbutia-t-il. Mes oreilles tintent. Recouche-moi.

Je n’eus pas le temps de l’assister, il retomba dans sa position première et resta silencieux une minute.

— Jim, dit-il enfin, tu as vu ce marin de tantôt ?

— Chien-Noir ?

— Oui ! Chien-Noir !… C’en est un mauvais, mais ceux qui l’ont envoyé sont pires. Voilà. Si je ne parviens pas à m’en aller, et qu’ils me flanquent la tache noire, rappelle-toi qu’ils en veulent à mon vieux coffre de mer. Tu montes à cheval… tu sais monter, hein ? Bon. Donc, tu montes à cheval, et tu vas chez… eh bien oui, tant pis pour eux !… chez ce sempiternel sagouin de docteur, lui dire de rassembler tout son monde… Magistrats et le reste… et il leur mettra le grappin dessus à l’Amiral Benbow… tout l’équipage du vieux Flint, petits et grands, tout ce qu’il en reste. J’étais premier officier, moi, premier officier du vieux Flint, et je suis le seul qui connaisse l’endroit. Il m’a livré le secret à Savannah, sur son lit de mort, à peu près comme je pourrais faire à présent, vois-tu. Mais il ne te faut les livrer que s’ils me flanquent la tache noire, ou si tu vois