Page:Stevenson - Le Maître de Ballantrae, 1989.djvu/149

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

son successeur. Pour tout esprit réfléchi, les deux fils avaient à eux deux fait mourir leur père, et l’on peut même dire qu’en maniant le sabre, l’un d’eux l’avait tué de sa main, mais il ne parut point que cette considération vînt troubler mon nouveau lord. Il montra la gravité nécessaire ; mais d’affliction, à peine, si ce n’est de l’affliction badine : parlant du défunt avec une légèreté regrettable, citant de vieux traits de son caractère, et souriant alors en tout repos de conscience ; et d’ailleurs, le jour des obsèques arrivé, faisant les honneurs dans toutes les règles. Je m’aperçus, en outre, que son accession au titre lui causa un grand plaisir, et il fut très pointilleux à l’exiger.

Et voici qu’apparaît sur la scène un nouveau personnage, qui joua également un rôle dans l’histoire ; je parle du présent lord, Alexander, dont la naissance (17 juillet 1757) emplit la coupe du bonheur de mon pauvre maître. Il ne lui resta plus rien à désirer. Il n’en eût pas eu le loisir, d’ailleurs, car jamais père ne montra engouement aussi passionné. L’absence de son fils lui causait des inquiétudes continuelles. L’enfant était-il dehors ? Le père guettait les nuages et redoutait la pluie. De nuit ? il se levait pour aller le regarder dormir. Sa conversation devenait fatigante pour les étrangers, car il ne parlait plus guère que de son fils. Dans les matières concernant le bien, tout était disposé particulièrement en vue d’Alexander. Et c’était : « Mettons-nous-y tout de suite, afin que la futaie soit haute pour la majorité d’Alexander. » Ou bien : « Ceci tombera à point pour le mariage d’Alexander. » Chaque jour, cette préoccupation du père devenait plus visible, à maints détails, les uns touchants, les autres fort blâmables. Bientôt l’enfant put sortir avec lui, d’abord sur la terrasse, et tenu par la main, puis en liberté dans le domaine ; et ces sorties devinrent le principal souci de Mylord. Le son de leurs deux voix (qu’on entendait de loin, car ils parlaient fort) devint familier dans le voisinage ; et pour ma part, je le trouvais plus doux que le gazouillis des oiseaux. C’était