Page:Stevenson - Le cas étrange du Dr. Jekyll et de M. Hyde, trad Varlet, 1931.djvu/230

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encore avoir recours à la drogue. Bref, à partir de ce jour, ce ne fut plus que par une sorte de gymnastique épuisante, et sous l’influence immédiate de la drogue, que je me trouvai capable de revêtir la forme de Jekyll. À toute heure du jour et de la nuit, j’étais envahi du frisson prémonitoire ; il me suffisait principalement de m’endormir, ou même de somnoler quelques minutes dans mon fauteuil pour m’éveiller immanquablement sous la forme de Hyde.

La menace continuelle de cette calamité imminente et les privations de sommeil que je m’imposai alors, et où j’atteignis les extrêmes limites de la résistance humaine, eurent bientôt fait de moi, en ma personne réelle, un être rongé et épuisé par la fièvre, déplorablement affaibli de corps aussi bien que d’esprit et possédé par une unique pensée : l’horreur de mon autre moi. Mais lorsque je m’endormais, ou lorsque la vertu du remède s’épuisait, je tombais quasi sans transition (car les tourments de la métamorphose devenaient chaque jour moins marqués) à la merci d’une imagination débordant d’images terrifiantes, d’une âme bouillonnant de haines irraisonnées, et d’un corps qui me semblait trop faible pour résister à une telle dépense de frénétiques énergies. Les facultés de Hyde semblaient s’accroître de tout ce que perdait Jekyll. Du moins la haine qui les divisait était alors égale de part et d’autre. Chez Jekyll, c’était une question de défense vitale. Il connaissait désormais la plénière difformité de