Page:Suétone - Les écrivains de l’Histoire Auguste, 1845.djvu/340

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le demandaient pas, et il ne refusa jamais rien à leurs demandes. Toutefois il prêtait facilement l’oreille aux accusations que l’on portait contre eux, et on le vit traiter en ennemis, comme il avait fait Tatien, Népos et Septicius Clarus, presque tous ceux qui avaient été ses plus chers amis, ou qu’il avait élevés aux plus hautes dignités. Ainsi il réduisit à la misère Eudémon, qui avait eu toute sa confiance ; il força Polyène et Marcellus à se donner la mort ; il déchira Héliodore dans des écrits diffamatoires ; il permit que Tatien fût accusé et proscrit, comme coupable d’aspirer au trône ; il poursuivit avec acharnement Numilius Quadratus, Catilius Sévère, et Turbon. Craignant que son beau-frère Servien, âgé de quatre-vingt-dix ans, ne lui survécût, il le contraignit de mourir. Enfin, il persécuta des affranchis et des soldats.

Il écrivait avec beaucoup de facilité en prose et en vers, et il avait de grands talents dans tous les arts ; mais il se croyait encore plus habile que tous ceux qui les enseignaient, et il ne fit que se moquer d’eux, que les humilier et les persécuter. Souvent même il entra en lice avec ces professeurs et avec les philosophes, et ces luttes enfantèrent de part et d’autre des traités et des poèmes. Il reprit, un jour, une expression de Favorin, qui se rendit aussitôt à sa critique ; et comme les amis de celui-ci le raillaient d’avoir si facilement cédé à l’empereur quand il avait pour lui les meilleures autorités, il mit les rieurs de son côté par cette réponse : « Vous ne me persuaderez point, mes amis, que celui qui commande à trente légions ne soit pas le plus savant de l’univers. »

XV.

Adrien était si avide de réputation, qu’il remit à quelques-uns de ses affranchis, qui étaient lettrés, l’histoire de sa vie écrite par lui-même, avec ordre de la publier sous leur nom ; et ce que l’on a de Phlégon est, dit-on, de ce prince. Il composa aussi, à l’exemple d’Antimaque, des livres fort obscurs, intitulés Catacriens. Le poète Florus lui ayant écrit en vers : « Je ne veux pas être César, pour courir les champs de la Bretagne et supporter les froids de la Scythie »,

il lui répondit dans le même mètre : « Je ne veux pas être Florus, pour courir les tavernes, m’enterrer dans les cabarets, et y souffrir la piqûre des moucherons. »

Il aimait les anciennes façons de parler, et il déclama des controverses. Il préférait Caton à Cicéron, Ennius à Virgile, Célius à Salluste. Il jugeait avec la même impertinence Homère et Platon. Il avait de telles connaissances en astrologie, qu’il écrivait, le soir des calendes de janvier, ce qui devait lui arriver pendant tout le cours de l’année ; en sorte qu’il avait écrit, pour l’année même où il mourut, tout ce qu’il devait faire jusqu’à l’heure de sa mort. Quoiqu’il prît plaisir à critiquer les musiciens, les auteurs tragiques et comiques, les rhéteurs, les grammairiens, les orateurs, il ne laissa pas d’enrichir et d’honorer ceux qui se livraient à l’enseignement, tout en les accablant de questions ardues. Il congédia un grand nombre de solliciteurs sans les avoir satisfaits, ce qui ne l’empêchait pas de répéter « qu’il ne voyait jamais sans peine un visage mécontent ». Il vécut dans une grande familiarité avec les philosophes Epictète et Héliodore, et en