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Page:Suarès - Sur la mort de mon frère.djvu/219

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mois et des mois, elle y use ses dents, la chienne ; elle souille la belle proie, qu’elle déchiquette jusqu’à l’os, à peine satisfaite, quand elle a fait du plus doux visage cette face blasphématrice, semblable à elle-même. Ce soir encore, tandis que les yeux fermés je ne peux fuir le lieu secret de la torture, j’écoute, je suis le travail de l’ouvrière ignominieuse et je crois l’entendre à son rouet.

Ô chair, douloureuse et première victime. Nul n’a jamais eu assez pitié de toi. Comme l’amour est proche de la haine, ma pitié de la chair tient à la crainte que j’en ai. Je suis l’ami de la chair ; je sais ce qu’elle est, et qu’elle a souffert. Plus on aime, et plus on aime les corps : pour l’amour ils sont tout âme. Où est-elle sans eux ? Moins ce corps, je n’ai plus, je ne me rappelle pas celui qui m’était si cher ;