Page:Suarès - Sur la mort de mon frère.djvu/48

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Et ils ont pleuré. On me parle bas : on me conduit comme un condamné ou un malade. Je ne rêve point ; ou de ce rêve, je le sais, je ne m’éveillerai pas. Sous la lune tiède, sous les lumières, dans les rues où il aimait à se promener d’un pas si jeune, on chante, et je ne le vois pas. Ha, j’ai vu, j’ai vu ce qui n’était pas un songe, aux portes de la ville, un mur et des arbres, un cortège déchirant où j’étais, et quoi encore ? — Ce qui ne se doit pas dire, le reste de tout bonheur, de tout amour, de toute vie.

Allons, je pars. Il faut que je m’en aille. Un autre bourreau, qui ne tue pas d’un coup, m’emporte : j’appartiens à la vie. Je distingue sa méchanceté, désormais, à travers le masque. Il me sépare de toi, chère victime ; il a prise sur moi, comme sur ton pauvre corps la terre.