Page:Suarès - Sur la mort de mon frère.djvu/84

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sur le vaste océan. Tous les passants me coudoyaient ; ils rasaient les murs ; ils me poussaient sur la chaussée et ne me regardaient pas.

Au plus fort de ma peine, et comme je tremblais d’être emporté par le flot, au coin d’une rue plus large que les autres, je vis, ah ! je vis, Celui que j’ai perdu et que rien n’a pu me rendre.

Il était vêtu avec soin, selon sa coutume. Grand et fin dans ses habits de couleur sombre, il marchait de ce pas calme et svelte, que je connais si bien. Et je reconnus aussi le cher visage. Il avait toute la force de la vie, avec plus de douceur encore. Je frémis de crainte et de tendresse ; mais je n’en dis rien, sachant qu’il fallait n’en rien dire. Et comme si je ne l’avais pas quitté, je demandais :

— Doux frère, — ha, mon cœur se fon-