Page:Sue - Atar-Gull et autres récits, 1850.djvu/13

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.


Le commandant Brulart.

LIVRE PREMIER


CHAPITRE PREMIER.

La catherine


Jamais d’enfants ! jamais d’épouse !
Nul cœur près du mien n’a battu ;
Jamais une bouche jalouse
Ne m’a demandé : d’où viens-tu ?

Vict. Hugo. — Ode xxi, t. 2.


— Où peut-on être mieux
Qu’au sein de sa famille !

Vieil air.


Voyez ce brick, il glisse bien timidement sur la mer des Tropiques, car c’est à peine si cette brise légère et folle peut gonfler ses larges voiles grises.

Écoutez le murmure sourd et mélancolique de l’Océan ; on dirait le bruit confus d’une grande cité qui s’éveille ; voyez comme les vagues se soulèvent à de longs intervalles et déroulent avec calme leurs immenses anneaux ; quelquefois une mousse blanche et frémissante jaillit du sommet diaphane des deux lames qui se rencontrent, se heurtent, s’élèvent ensemble et retombent en poussière humide après un léger choc.

Oh ! qu’elle est scintillante et nacrée cette frange d’écume qui se découpe sur les flancs bruns du navire ! comme le cuivre de la carène étincelle en reflets d’or au milieu de ces eaux vertes et liquides ! que le soleil brille doucement au travers de ces voiles arrondies qui projettent au loin leurs ombres tremblantes !

Et par l’ange de saint Pierre, c’est un vaillant brick que celui-ci, qui, mollement bercé sur une mer paresseuse, semble s’y jouer comme une dorade par un beau temps.

Au souffle de cette petite brise, il continue honnêtement son chemin vers le sud-est, arrivant sans doute d’Europe, où il se sera défait de toute sa cargaison, car il navigue sur son lest, et montre presque deux pieds de cuivre hors de l’eau.

Il fait à bord une chaleur excessive, et le soleil ardent de l’équateur calcine le pont, malgré la double tente qui couvre la dunette.