Page:Sue - Le Juif errant - Tomes 9-10.djvu/108

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peut-être ; tandis qu’à présent… Oh ! tenez… cela est horrible à avouer… On m’a rendu la douleur si familière, on m’a tellement incarné avec elle, qu’il me semble qu’elle doit à jamais paralyser ma vie…

Puis, ayant honte de cette rechute d’abattement, M. Hardy ajouta d’une voix navrante, en cachant son visage dans ses mains :

— Oh ! pardon… pardon de ma faiblesse… Mais si vous saviez ce que c’est qu’une pauvre créature qui ne vivait que par le cœur, et à qui tout a manqué à la fois ! Que voulez-vous… elle cherche de tout côté à se rattacher à quelque chose, et ses hésitations, ses craintes, ses impuissances mêmes… sont, croyez-moi, plus dignes de compassion que de dédain.

Il y avait quelque chose de si déchirant dans l’humilité de cet aveu, que Gabriel en fut touché jusqu’aux larmes.

À ces accès d’accablement presque maladifs, le jeune missionnaire reconnaissait avec effroi les terribles effets des manœuvres des révérends pères, si habiles à envenimer, à rendre mortelles, les blessures des âmes tendres et délicates (qu’ils veulent isoler et capter), en y distillant longtemps, goutte à goutte, l’âcre poison des maximes les plus désolantes.

Sachant encore que l’abîme du désespoir