Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 10.djvu/293

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Le franc-taupin fut interrompu par l’entrée de son neveu ; il tenait à la main un flacon recouvert d’une enveloppe de joncs finement tissée et une dague d’acier ; il présenta tout joyeux ces deux objets à Joséphin, lui disant avec gentillesse :

— Cher oncle, je vous ai forgé cette dague du meilleur acier de Milan et je vous ai rapporté ce flacon de vieux vin d’Imola pour fêter ce jour si heureux pour nous et boire à la réunion de toute la famille…

Les naïves paroles de cet enfant contrastaient d’une manière si poignante avec les affreuses réalités qu’il ignorait encore, que maître Raimbaud et l’aventurier, échangeant un regard douloureux, restèrent muets. Le capuchon de Joséphin, alors rabaissé sur ses épaules, découvrait complètement ses traits, creusés, ravagés, assombris par le chagrin, à ce point qu’Odelin, voyant pour la première fois son oncle à visage découvert, recula d’un pas ; remarquant aussi la profonde tristesse de maître Raimbaud, et inquiet de leur silence à tous deux, son cœur se serra, il pressentit vaguement quelque malheur. Le franc-taupin, touché de la preuve d’affectueux souvenir que lui rapportait son neveu de son lointain voyage, prit le flacon et la dague, considéra cette arme avec une joie sinistre, la plaça sous son froc à sa ceinture, se disant :

— Oh ! bonne lame meurtrière ! tu m’es donnée par le fils… tu vengeras et la mère et le père… et leur fille !… — Puis, déposant le flacon près de lui et embrassant Odelin avec tendresse : — Merci, merci, cher enfant, la dague à la guerre me servira… oh ! oui… me servira beaucoup... souvent… toujours !… Quant au flacon… que veux-tu ? les goûts changent… je ne bois plus de vin… le chirurgien me le défend… Il est, vois-tu, des blessures…

— Mon Dieu ! une de vos blessures s’est rouverte ! — dit vivement Odelin, apitoyé. — Pauvre bon oncle ! voilà donc pourquoi vous êtes si pâle, si défait ? Maintenant, je vous vois au grand jour ; je vous trouve presque méconnaissable.