Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 11.djvu/300

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fin à ses jours… Son regard, déjà égaré, furetant çà et là les sombres recoins du réduit, à peine éclairé par la pâle lumière de la lampe, cherche machinalement quelque objet dont elle puisse se faire une arme pour se donner la mort… Soudain, les yeux de Cornélie s’agrandissent démesurément ; elle suspend sa respiration, reste pétrifiée, se croyant le jouet d’un songe… Voici ce qu’elle voit, et ce que fra‑Hervé ne peut voir, ayant les yeux fixés sur le clepsydre et tournant le dos à la trappe qui masque le degré de pierre conduisant aux profondeurs de l’aqueduc… Cette trappe s’est soulevée sans bruit par un mouvement presque insensible, et à mesure qu’elle se soulève ont apparu les deux mains, puis les deux bras tendus qui la font jouer… puis le cimier d’un casque de fer… puis enfin le visage que coiffe ce casque… et Cornélie a reconnu Antonicq…

— Le sable aura coulé avant que tu aies eu le temps de dire un Ave… — reprend le cordelier Hervé de sa voix caverneuse, contemplant toujours le clepsydre, et il ajoute : — Hérétique !… hérétique !… hâte-toi… abjure ton idolâtrie… sinon, tu vas être livrée à la brutalité des goujats de l’armée !…

À l’aspect d’Antonicq, toute autre que Cornélie eût poussé un cri de surprise ou de joie délirante ; mais ce cri pouvait tout perdre en donnant l’éveil à fra‑Hervé. Aussi, l’imminence du péril, l’espoir du salut, ont rendu à la jeune fille sa présence d’esprit ; et à l’aspect de son fiancé, elle est restée muette, immobile, attentive. Les dernières menaces du moine arrivant aux oreilles d’Antonicq au moment où il venait de soulever presque entièrement la trappe, il pousse malgré lui une exclamation de fureur ; fra‑Hervé se retourne brusquement et bondit de surprise en voyant le jeune homme s’élancer hors du souterrain. Cornélie, conservant son sang-froid, n’a pas oublié que le logis du moine n’est séparé de la salle des gardes que par un couloir d’une vingtaine de pas de longueur. Elle court vers la porte qui s’ouvre sur ce couloir, afin de la verrouiller en dedans ; fra‑Hervé devine l’intention de la jeune fille, veut s’y opposer, se préci-