Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 11.djvu/49

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fondément dépravée, les désigne sous le surnom ironique de l’escadron volant de la reine. En effet, selon les besoins de sa ténébreuse ou sanglante politique, empruntée au livre effrayant de Machiavel, la reine engage ses filles d’honneur à se prostituer, tantôt à ceux qu’elle veut attirer à son parti, tantôt à ceux dont elle désire pénétrer les secrets, qu’ils ne sauraient taire à ces séductrices, tantôt même, dit-on, à ceux de qui la mort est nécessaire, René, parfumeur de la cour, préparant avec un art infernal les poisons les plus subtils, les plus sûrs, dont il imprègne des gants, les pétales d’une fleur fraîchement épanouie, des boules de senteur, ou enfin des dragées dont les gens de cour garnissent leurs drageoirs. Le poison le plus dangereux, parce que l’on s’en défie moins, est ainsi caché dans les parfums, dans des gants ou dans des fleurs, il s’absorbe par la moiteur de la peau ou par l’aspiration de l’odorat ; parfois ces sirènes, messagères du meurtre, ignorent elles-mêmes qu’elles offrent à leurs galants un bouquet ou un bonbon empoisonné. Telles sont les principales fonctions de l’escadron volant de la reine dans cette cour où les parfums enivrants déguisent à peine la fétide odeur du sang, où l’assassinat prend les traits charmants d’une jeune fille aux lèvres sensuelles, au regard lascif ; Catherine de Médicis dit d’habitude à ses nouvelles recrues : « — Mignonne, tu peux pratiquer à ton gré le culte de Diane ou de Vénus ; seulement, aie garde à l’enflure de la taille[1]. »

Après souper, le cardinal de Lorraine est resté seul avec la reine, ses filles d’honneur devisent entre elles dans une chambre voisine de l’appartement royal. Elles sont de beautés diverses, selon qu’il faut qu’elles soient pour servir les divers desseins de l’Italienne ; la plus jeune a dix-huit ans, la plus âgée vingt-deux ans ; corrompues dès l’enfance, un brillant vernis de grâce et d’élégance couvre cette dégradation précoce ; elles sont superbement vêtues : Catherine de Médicis aime le luxe avec frénésie, et, en voyage, toutes les personnes de

  1. Brantôme, Femmes illustres, t. IV, p. 474.