Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 2.djvu/35

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reté, je vais te conduire dans un réduit où tu seras seul et mieux qu’ici ; il était occupé par un blessé qui est mort cette nuit… un beau blessé !… un superbe blessé !… C’est une perte… Ah ! tout n’est pas gain dans le commerce… Viens, suis-moi.

Et il s’occupa de détacher ma chaîne au moyen d’un ressort dont il avait le secret. Je me demandais pourquoi le maquignon m’appelait toujours Taureau… J’aurais d’ailleurs préféré le fouet des gardiens à la joviale loquacité de ce marchand de chair humaine. J’étais certain de ne pas rêver ; cependant, j’avais peine à croire à la réalité de ce que je voyais… Incapable de résister, je suivis cet homme ; je n’aurais plus ainsi sous les yeux ces gardiens qui m’avaient battu, et dont la vue faisait bouillonner mon sang. Je fis un effort pour me lever, car grande encore était ma faiblesse. Le maquignon décrocha ma chaîne, la prit par le bout, et, comme j’avais toujours les menottes aux mains, l’homme à la longue robe noire et celui qui portait un coffret me prirent chacun sous un bras, et me conduisirent à l’extrémité du hangar ; on me fit monter quelques degrés et entrer dans un réduit éclairé par une ouverture grillée. J’y jetai un regard ; je reconnus la grande place de la ville de Vannes, et, au loin, la maison où j’étais souvent venu voir mon frère Albinik, le marin, et sa femme Méroë. Je vis dans le réduit un escabeau, une table et une longue caisse remplie de paille fraîche, remplaçant, je pense, celle où l’autre esclave était mort. On me fit d’abord asseoir sur l’escabeau ; l’homme à la robe noire, médecin romain, visita mes deux blessures, tout en causant dans sa langue avec le maquignon ; il prit différents baumes dans le coffret que portait son compagnon, me pansa, puis alla donner ses soins à d’autres esclaves… après avoir aidé le maquignon à attacher ma chaîne à la caisse de bois qui me servait de lit ; je suis resté seul avec mon maître.

— Par Jupiter ! — me dit-il de son air satisfait et joyeux qui me révoltait, — tes blessures se cicatrisent à vue d’œil, preuve de la pureté de ton sang, et avec un sang pur il n’y a pas de blessure, a dit