Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 2.djvu/65

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sans doute que j’avais entendues supplier et gémir pendant qu’on les dépouillait de leurs vêtements pour les livrer aux regards des acheteurs, étaient assises, encore demi-nues, leurs pieds nus aussi, enduits de craie (J), passés dans les anneaux d’une longue barre de fer. Serrées les unes contre les autres, elles s’enlaçaient de telle sorte, que deux d’entre elles, encore écrasées de honte, cachaient leur figure dans le sein de la troisième. Celle-ci, pâle et sombre, sa longue chevelure noire dénouée, baissait la tête sur sa poitrine découverte et meurtrie… meurtrie sans doute pendant la lutte de ces infortunées contre les gardiens qui les avaient déshabillées. À peu de distance d’elles, deux petits enfants de trois à quatre ans au plus, et seulement attachés par la ceinture à une corde légère fixée à un pieu, riaient et s’ébattaient sur la paille avec l’insouciance de leur âge ; j’ai pensé, sans me tromper, j’en suis certain, que ces enfants n’appartenaient aucune des trois Gauloises.

À l’autre coin de la loge, je vis une matrone de taille aussi élevée que celle de ma mère Margarid, les menottes aux mains, les entraves aux pieds ; elle se tenait debout, appuyée à une poutre à laquelle elle était enchaînée par le milieu du corps, immobile comme une statue, sa chevelure grise en désordre, les yeux fixes, la figure livide, effrayante ; elle poussait de temps à autre un éclat de rire à la fois menaçant et insensé… Enfin, au fond de la loge, j’ai aperçu une cage semblable à celle d’où je sortais ; dans cette cage devaient se trouver mes deux enfants, selon ce que m’avait dit le maquignon. Les larmes me sont venues aux yeux… Cependant, malgré la faiblesse qui m’énervait et me glaçait encore, j’ai senti, en pensant que mes enfants étaient là… si près de moi… j’ai senti une légère chaleur me monter du cœur à la tête, comme un symptôme encore lointain du réveil de mon énergie.

(Maintenant, mon fils Sylvest, toi pour qui j’écris ceci… lis lentement ce qui va suivre… Oui, lis lentement… afin que chaque mot de ce récit pénètre à jamais ton âme d’une haine implacable contre les