Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 6.djvu/143

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Fainéant ; puis à demi-voix il ajouta : — Mais vous le savez, selon mon habitude, je ne mangerai rien, je ne boirai rien que vous n’en ayez goûté la première.

— Quel enfant vous êtes... à votre âge ! — répondit Blanche en souriant à son mari d’un air d’amical reproche, — toujours des soupçons ! mais je m’en offense peu, puisque, grâce à votre méfiance, nous buvons à la même coupe comme deux amoureux que nous sommes.

Les officiers du roi sortirent sur un signe de la reine ; elle resta seule avec Ludwig.




Le jour baissait, les ténèbres commençaient d’envahir cette salle immense, dans laquelle soixante et quinze ans auparavant Francon, l’archevêque de Rouen, avait, au nom de Roth-bert, signifié à Karl-le-Sot qu’il eût à donner sa fille Ghisèle et la Neustrie à Rolf le pirate.

Ludwig-le-Fainéant dormait étendu sur son lit de repos, non loin de la table encore couverte de plats et de vases d’or et d’argent. Le sommeil du roi était pénible, agité ; une sueur froide coulait de son front de plus en plus livide, bientôt une torpeur accablante succéda aux premières agitations de Ludwig, il resta plongé dans un calme apparent, quoique ses traits devinssent de moment en moment d’une pâleur cadavéreuse. Debout derrière le lit de repos et accoudé au dossier de ce meuble, Yvon-le-Bestial contemplait le roi des Franks avec une expression de sombre et farouche triomphe ; Yvon avait quitté son masque hébété ; ses traits révélaient alors sans contrainte son intelligence jusque-là cachée sous l’apparence de l’idiotisme. Le plus profond silence régnait dans cette salle obscurcie par les approches de la nuit ; Yvon contemplait toujours le roi des Franks, ce dernier rejeton de Karl-le-Grand... Soudain Ludwig-le-Fainéant poussant un gémissement plaintif s’éveilla en sursaut ; Yvon se baissa et disparut caché derrière le dossier du lit de repos, tandis que Lud-