Page:Sue - Les Sept Péchés capitaux, 1852.djvu/109

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pour moi qu’une divinité… la vôtre !… Quant à mes vertus, — ajouta M. de Macreuse en souriant d’un air fin, — qu’elles ne vous effarouchent pas — je garderai celles qui vous seront commodes, trop heureux de mettre les autres… à vos pieds.

— Ah ! c’est infâme, — se dit Ernestine. — Cet homme, pour m’intéresser, avait feint d’être vertueux, dévot, charitable, bon fils, et voilà qu’il renie ses vertus, sa charité, sa mère, son Dieu, pour me plaire davantage et arriver à son but… m’épouser pour mon argent… et les détestables penchants que j’affecte… ne le choquent pas… il les loue… il les exalte.

Mademoiselle de Beaumesnil, peu habituée à la dissimulation, et qui avait fait jusqu’alors de grands efforts de contrainte pour jouer le rôle qui devait l’aider à démasquer M. de Macreuse, ne put cacher son dégoût, son mépris, qui, malgré elle, se trahissait sur son visage aux dernières paroles de M. de Macreuse.

Celui-ci, comme tous ceux de son école, étudiait incessamment la physionomie des gens qu’il voulait convaincre ou tromper… La contraction pénible des traits de mademoiselle de Beaumesnil, son sourire de dédain amer, une sorte d’indignation impatiente, contenue, qu’en ce moment elle dissimulait à peine… tout fut pour M. de Macreuse une révélation soudaine.

— Je suis pris, — pensa-t-il, — c’était un piége… Elle se défiait de moi… elle a voulu m’éprouver… Elle a feint d’être sotte, capricieuse, impie, vaine, méchante… pour voir sans doute si j’aurais le courage de la blâmer… et si mon amour tiendrait contre cette découverte… J’ai donné dans le panneau… comme un sot… Comment diable aussi aller se défier de cette ingénue de seize ans !… Mais, — se dit le disciple chéri de l’abbé Ledoux, frappé d’une idée subite, — si elle a feint ces mauvais penchants, ses penchants réels sont donc bons et généreux ? Si elle a voulu m’éprouver, elle a donc quelques vues sur moi ?… Rien n’est désespéré… il faut jouer un grand coup…

Ces réflexions du pieux jeune homme durèrent un instant à peine ; mais cet instant lui suffit pour se préparer à une nouvelle transformation.

Ces quelques instants avaient aussi suffi à mademoiselle de Beaumesnil pour calmer ses pénibles sentimens et reprendre courage, afin de terminer cette épreuve en couvrant le Macreuse de honte et de mépris.

— Vraiment, monsieur, vous me feriez le sacrifice de vos vertus ? — reprit Ernestine, — l’on n’est pas plus aimable… Mais voici la contredanse finie… au lieu de me ramener à ma place, voulez-vous me conduire dans cette galerie de fleurs que l’on voit à travers le salon ? cela paraît charmant.

— Je suis trop heureux de me mettre à vos ordres, mademoiselle ; d’autant plus que j’aurai, si vous le permettez, quelques derniers mots à vous dire… et ces paroles… seront graves.

L’accent de M. de Macreuse avait complètement changé, il était bref, ferme, presque dur.

Ernestine, étonnée, jeta les yeux sur le pieux jeune homme… il était redevenu triste, ainsi qu’au commencement de la contredanse, mais d’une tristesse, non plus mélancolique et touchante, mais sévère, presque irritée.

De plus en plus surprise de cette métamorphose, que le Macreuse compléta, solidifia pour ainsi dire, pendant le trajet du salon à la galerie, mademoiselle de Beaumesnil se demandait la cause de ce singulier changement.

La vaste galerie où elle entrait alors était latéralement bordée d’encaissemens de stuc remplis de masses de fleurs ; à l’une des extrémités, l’on voyait un buffet splendide ; presque tous les danseurs étant en ce moment occupés à reconduire leurs danseuses à leur place, il y eut fort peu de monde dans cette galerie pendant quelques minutes, qui suffirent à M. de Macreuse pour dire ce qu’il avait à dire à Ernestine.

— Puis-je savoir, monsieur, — lui demanda l’orpheline, qui ne concevait rien à la soudaine sévérité des traits de son danseur, — puis-je savoir, — ajouta-t-elle en souriant, afin de continuer son rôle, — quelles graves paroles vous avez à me dire ?… Graves ?… c’est bien près d’être ennuyeux… ce me semble… et, vous le savez, j’ai horreur de ce qui est ennuyeux.

— Ennuyeuses ou graves, vous voudrez pourtant bien subir ces paroles, mademoiselle, ce sont les dernières que vous entendrez de moi.

— Les dernières… de cette contredanse… apparemment ?

— Ce sont les dernières paroles que je vous dirai de ma vie, mademoiselle…

Et il y eut dans la voix, dans les traits, dans l’attitude du pieux jeune homme, quelque chose de si douloureux et de si fier que mademoiselle de Beaumesnil resta frappée de stupeur.

Cependant elle reprit en tâchant encore de sourire :

— Comment, monsieur ?… je ne vous verrai plus ?… après ce que mademoiselle Héléna m’a dit de vous… de…

— Écoutez, mademoiselle, — dit M. de Macreuse, en interrompant Ernestine, — il m’est impossible de feindre davantage… de parler plus longtemps… un langage qui n’est pas le mien…

— De quelle feinte… s’agit-il donc, monsieur ?

— Pour venir ici, mademoiselle, je me suis étourdi sur d’horribles chagrins, car j’espérais vous voir… et surtout… trouver en vous… la jeune fille pieuse, sensible, généreuse, candide… dont, pour mon repos, mademoiselle Héléna ne m’avait fait que trop d’éloges… C’est donc à cette jeune fille que j’ai adressé mes premières paroles, empreintes de la tristesse qui m’accable — mais la raillerie, la frivolité… les ont presque tout d’abord accueillies…

— Qu’entends-je ? quel langage ? — se dit Ernestine, — où veut-il en venir ?

— Alors un doute affreux m’a traversé l’esprit, — continua M. de Macreuse avec un sourire amer. — Je me suis dit que peut-être, mademoiselle, vous ne possédiez pas ces rares qualités que j’adorais et que je croyais trouver en vous… À une si pénible découverte, je n’ai pas voulu d’abord me résigner… attribuant vos premières paroles à la légèreté, à l’étourderie de votre âge… Mais, hélas ! la moquerie, la sécheresse de cœur, l’irréligion, la vanité, m’ont paru percer dans votre entretien — Alors j’ai voulu m’éclairer tout-à-fait… et, quoiqu’à chaque instant mon cœur saignât, j’ai voulu lutter avec vous d’insensibilité pour tout ce qui est pitoyable, de dédain pour tout ce qui est sacré… J’ai été jusqu’à paraître renier ce qui est pour moi plus cher que la vie… ma religion et le souvenir de ma mère… (et une larme contenue brilla très à point dans les yeux du disciple de l’abbé Ledoux).

— C’était une épreuve… — pensa Ernestine.

— J’ai affecté les sentiments les plus vicieux, — reprit M. de Macreuse avec une indignation concentrée, — les maximes les plus impies… et de votre part… pas un mot de blâme… pas même un mot de surprise ! Enfin j’ai poussé à l’extrême l’adulation, la lâcheté, la bassesse… et vous êtes restée calme, plaisantant toujours, approuvant mes paroles, au lieu de m’accabler du mépris que je méritais… Mais l’épreuve a assez duré, trop duré… pour moi, car elle me porte un coup aussi imprévu qu’accablant — Enfin, c’en est fait… Pardonnez cette sévérité de langage à laquelle vous êtes peu habituée, mademoiselle… mais, sachez-le bien, je ne consacrerai jamais ma vie qu’à une femme digne en tout de mon amour et de ma respectueuse estime.

Et, d’un air digne, sévère, mais profondément affligé, M. de Macreuse salua Ernestine et la laissa stupéfaite.

— Ah !… grâce à Dieu je m’étais trompée ! — pensa la pauvre enfant avec bonheur, — tant d’hypocrisie, de fausseté, de bassesse n’étaient pas possibles !… M. de Macreuse a été révolté des apparences que j’avais prises ; voilà encore une âme sincère et élevée !…

Les réflexions de cette naïve créature, incapable de lutter de ruse avec le fondateur, de l’œuvre de Saint Poly-