Page:Sue - Les Sept Péchés capitaux, 1852.djvu/40

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— Votre inconcevable refus m’accable et m’afflige à un point que je ne saurais vous dire… Aussi, je vous en prie… je vous en prie en grâce… Gerald, attendez-moi un instant, je reviens tout-à-l’heure. Ah ! mon fils, mon ami… vous ne pouvez vous imaginer l’affreux chagrin que vous me faites…

— Tiens… ma mère… ne me parle pas ainsi, — dit Gerald, touché de l’accent attristé de la duchesse, — Ne sais-tu pas combien je t’aime ?…

— Vous le dites… Gerald, j’ai besoin de le croire…

— Envoie donc promener cet animal de Macreuse, et causons… Je tiens à te convaincre que ma conduite est du moins honnête et loyale… Allons, tu me quittes… ajouta-t-il en voyant sa mère se diriger vers la porte.

— M. de Macreuse m’attend… — répondit la duchesse.

— Eh pardieu ! je vais lui faire dire qu’il s’en aille. Ne faut-il pas se gêner avec lui ?…

Et comme M. de Senneterre, voulant donner cet ordre, s’approchait de la cheminée pour sonner, sa mère l’arrêta et lui dit :

— Gerald… un autre de mes chagrins est de voir avec quelle aversion, je ne veux pas dire avec quelle jalousie trop significative, vous parlez d’un jeune homme de bien, dont la conduite exemplaire, dont la modestie, dont la piété, devraient servir de modèle à tous… Ah ! plût au ciel… que vous eussiez ses mœurs, ses vertus… vous ne préféreriez pas les coupables égaremens qui perdent votre jeunesse, à un magnifique mariage qui assurerait votre bonheur et le mien.

Ce disant, madame de Senneterre alla rejoindre M. de Macreuse, et laissa son fils seul, en lui faisant promettre qu’il attendrait son retour.


XVII.


Lorsque la duchesse revint auprès de son fils, elle avait le teint coloré, l’indignation éclatait sur son visage, et elle s’écria en entrant :

— C’est à n’y pas croire… voilà qui est d’une audace :

— Qu’as-tu, ma mère ?

— Ce monsieur de Macreuse, — reprit madame de Senneterre avec une explosion de courroux, — ce monsieur de Macreuse… est un drôle !

Gerald ne put s’empêcher de partir d’un grand éclat de rire, malgré l’agitation où il voyait sa mère, mais, regrettant cette inopportune hilarité, il reprit :

— Pardon, ma mère… c’est qu’en vérité le revirement est si brusque, si singulier !… Mais j’y songe, — ajouta sérieusement cette fois Gerald. — Est-ce que cet homme… aurait manqué d’égards envers toi ?

— Est-ce que ces gens-là manquent jamais de formes ? — répondit la duchesse avec dépit.

— Alors ma mère… d’où le vient cette colère ?… Tout à l’heure… tu ne jurais que par ton monsieur de Macreuse et…

— D’abord, je vous prie de ne pas dire : mon monsieur de Macreuse, — s’écria impétueusement madame de Senneterre en interrompant son fils.

— Savez-vous le but de sa visite ?… Il venait me prier de dire de lui tout le bien que j’en pense. Il est joli maintenant, le bien que j’en pense !

— À qui le dire ? et pourquoi faire ?

— A-t-on idée d’une pareille audace !

— Mais dans quel but cette recommandation, ma mère ?

— Comment, dans quel but !… Ce monsieur ne prétend-il pas épouser mademoiselle de Beaumesnil ?

— Lui ! ! !

— C’est d’une insolence !…

— Macreuse !…

— Un pied plat, un je ne sais quoi ! — s’écria la duchesse. — Car, en vérité, on est à se demander et à chercher quelle est la personne qui a eu l’inconvenance de présenter et d’amener dans notre monde… une pareille espèce !

— Mais comment est-il venu te faire part de ses projets ?

— Eh ! mon Dieu !… parce que je l’avais accueilli avec distinction, avec préférence… parce que, comme tant d’autres sottes… je m’étais engouée de lui sans savoir pourquoi, de sorte que ce monsieur s’est imaginé de venir me dire, qu’en raison de l’intérêt que je lui avais toujours porté, des éloges que je lui avais donnés, il regardait comme un devoir de venir me confier, sous le sceau du secret, ses intentions au sujet de mademoiselle de Beaumesnil, ne doutant pas, a-t-il eu le front d’ajouter, — des bons témoignages que je voudrais bien rendre de lui à mademoiselle de Beaumesnil, laissant à ma bienveillance (je crois même qu’il a eu l’impudence de dire à mon amitié) le soin de faire naître au plus tôt l’occasion de le servir, ce monsieur ! ! En vérité tout cela est d’une effronterie qui n’a pas de nom.

— Entre nous, ma chère mère… c’est un peu… c’est beaucoup ta faute… avoue-le… Je t’ai entendu louer… ce Macreuse… le flatter… à outrance.

— Le louer… le flatter, — s’écria naïvement madame de Senneterre, — est-ce que je savais alors, moi, qu’il aurait un jour l’insolence de se mettre en tête d’épouser la plus riche héritière de France ? d’aller sur les brisées de mon fils ? Du reste, avec toute sa finesse, ce monsieur n’est qu’un imbécile : il vient justement s’adresser à moi ! C’est étonnant comme je vais le servir !… Et d’ailleurs, ses prétentions font pitié. C’est un bélître, il est commun, il n’a pas de nom, il a la tournure d’un sacristain endimanché qui va dîner chez son curé ; c’est un pédant, un hypocrite, et il est ennuyeux comme la pluie, avec toutes ses feintes vertus ; du reste, il n’a pas la moindre chance, car mademoiselle de Beaumesnil, d’après ce que m’a dit madame de La Rochaiguë, serait ravie d’être duchesse ; femme à la mode, elle a le goût de tous les plaisirs, de tous les avantages que donne une grande fortune jointe à une grande position dans le monde, et ce n’est certes pas un pleutre comme ce monsieur de Macreuse qui la lui donnera, cette grande position !

— Et, à la demande du Macreuse, qu’as-tu répondu, ma mère ?

— Indignée de son audace, j’ai été sur le point de lui répondre que ses prétentions étaient aussi ridicules qu’impertinentes, et de lui défendre de remettre les pieds ici ; mais j’ai réfléchi que, pour lui nuire davantage, il valait mieux paraître vouloir le servir… et je lui ai promis de parler de lui… comme il le méritait… et je n’y manquerai certes pas… Oui, je le servirai… de bonne sorte, j’en réponds.

— Sais-tu une chose, ma mère ? c’est qu’il serait fort possible que le Macreuse en vînt à ses fins.

— Lui, épouser mademoiselle de Beaumesnil ?

— Oui.

— Allons donc, vous êtes fou !

— Ne t’abuse pas… la coterie qui le soutient est toute-puissante… Il a pour lui, je puis te dire cela, maintenant que tu le détestes ; il a pour lui les femmes qui sont devenues bigotes… parce qu’elles sont vieilles ; les jeunes femmes rigides, parce qu’elles sont laides ; les hommes dévots, parce qu’ils font état de leur dévotion ; et les hommes sérieux, parce qu’ils sont bêtes… C’est énorme !

— Mais il me semble que je suis assez comptée dans le monde… moi ! — reprit la duchesse, — et mon opinion est quelque chose… je pense !

— Ton opinion a été jusqu’ici, et hautement, des plus favorables à ce mauvais garçon, et l’on ne s’expliquera pas ton changement subit… ou plutôt on se l’expliquera ; et, loin de nuire au Macreuse, la guerre que tu lui feras…