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des nouvelles d’Ernestine de Beaumesnil, qu’il devait sans doute avoir déjà vue ; mais la jeune fille craignit de se trahir en parlant de sa sœur, et de réveiller les soupçons de M. de Maillefort.

— Allons ! — dit celui-ci en se levant, — adieu, ma chère et noble enfant… J’étais venu ici dans l’espoir de rencontrer une jeune fille à aimer, à protéger paternellement ; je ne m’en retournerai pas du moins… le cœur vide… Encore adieu… et au revoir…

— À bientôt, je l’espère… monsieur le marquis, — répondit Herminie avec une respectueuse déférence.

— Hein ? mademoiselle, — dit le bossu en souriant, — il n’y a pas ici de marquis, mais un vieux bonhomme qui vous aime, oh ! qui vous aime de tout son cœur… N’oubliez pas cela…

— Oh ! jamais… je ne l’oublierai, monsieur.

— À la bonne heure ! Cette promesse vous absout. À bientôt donc, ma chère enfant.

Et M. de Maillefort sortit très indécis sur l’identité d’Herminie, et non moins embarrassé sur la conduite à tenir au sujet de l’accomplissement des dernières volontés de madame de Beaumesnil.

La jeune fille, restée seule et pensive, réfléchit longuement aux divers incidens de ce jour, après tout presque heureux pour elle, car, en refusant un don qui montrait la tendre sollicitude de sa mère, mais qui pouvait compromettre sa mémoire, la jeune fille avait conquis l’amitié de M. de Maillefort. Mais une chose cruellement pénible pour l’orgueil d’Herminie avait été le paiement fait à M. Bouffard par un inconnu.

Le caractère de la duchesse admis, l’on comprendra que, malgré ses résolutions de dédaigneux oubli, elle devait plus que toute autre ressentir longtemps une pareille injure, par cela même qu’elle était de tout point imméritée.

— Je passais donc pour bien méprisable aux yeux de celui qui a osé m’offenser ainsi ! — se disait l’orgueilleuse fille avec une hauteur amère, lorsqu’elle entendit sonner timidement à sa porte.

Herminie alla ouvrir.

Elle se trouva en présence de M. Bouffard et d’un inconnu qui l’accompagnait.

Cet inconnu était Gerald de Senneterre.


XXX.


Herminie, à la vue du duc de Senneterre, qui lui était absolument inconnu, rougit de surprise et dit à M. Bouffard avec embarras :

— Je ne m’attendais pas, monsieur, à avoir le plaisir de vous revoir… si tôt.

— Ni moi non plus, ma chère demoiselle, ni moi non plus… c’est monsieur qui m’a forcé… de revenir ici.

— Mais, — dit Herminie, de plus en plus étonnée, — je ne connais pas monsieur.

— En effet, mademoiselle, — répondit Gerald, dont les beaux traits exprimaient une pénible angoisse, — je n’ai pas l’honneur d’être connu de vous… et pourtant je viens vous demander une grâce… Je vous en supplie… ne me refusez pas !

La charmante et noble figure de Gerald annonçait tant de franchise, son émotion paraissait si sincère, sa voix était si pénétrante, sa contenance si respectueuse, son extérieur à la fois si élégant et si distingué, qu’il ne vint pas un seul instant à la pensée d’Herminie que Gerald pût être l’inconnu dont elle avait tant à se plaindre ; rassurée d’ailleurs par la présence de M. Bouffard, et n’imaginant pas quelle grâce venait implorer cet inconnu, la duchesse dit timidement à M. Bouffard ;

— Veuillez vous donner la peine d’entrer, monsieur…

Et, précédant Gerald et le propriétaire, la jeune fille les conduisit dans sa chambre.

Le duc de Senneterre n’avait jamais rencontré une femme dont la beauté fût comparable à celle d’Herminie, et à cette beauté, à cette taille enchanteresse, se joignait le maintien le plus modeste et le plus digne.

Mais lorsque Gerald, suivant la jeune fille, pénétra dans sa chambre et qu’il reconnut à mille indices les habitudes élégantes, les goûts choisis de celle qui habitait cette demeure, il se sentit de plus en plus confus. Dans son cruel embarras, il ne put d’abord trouver une seule parole.

Étonnée du silence de l’inconnu, Herminie interrogea du regard M. Bouffard, qui, pour venir sans doute en aide à Gerald, dit à la jeune fille :

— Il faut, voyez-vous, ma chère demoiselle, commencer par le commencement… Je vas vous dire… pourquoi monsieur…

— Permettez, — reprit Gerald en interrompant M. Bouffard.

Et, s’adressant à Herminie avec un mélange de franchise et de respect :

— Il faut vous l’avouer, mademoiselle, ce n’est pas une grâce que je viens vous demander, mais un pardon…

— À moi, monsieur ?… et pourquoi ? — demanda ingénument Herminie.

— Ma chère demoiselle, — lui dit M. Bouffard en lui faisant un signe d’intelligence, — vous savez, c’est ce jeune homme qui avait payé… je l’ai rencontré… et…

— C’était vous… monsieur ! — s’écria Herminie, superbe d’orgueilleuse indignation.

Et regardant Gerald en face, elle répéta :

— C’était vous ?

— Oui, mademoiselle… mais, de grâce, écoutez-moi…

— Assez, monsieur… — dit Herminie, — assez ; je ne m’attendais pas à tant d’audace… Vous avez, du moins, monsieur, du courage dans l’insulte, — ajouta Herminie avec un écrasant dédain.

— Mademoiselle, je vous en supplie, — dit Gerald, — ne croyez pas que…

— Monsieur, — reprit la jeune fille en l’interrompant encore, mais cette fois d’une voix altérée, car elle sentait des larmes d’humiliation et de douleur lui venir aux yeux, — je ne puis que vous prier de sortir de chez moi… je suis femme… je suis seule…

En prononçant ces mots, je suis seule… l’accent d’Herminie fut si navrant que Gerald, malgré lui, en fut ému jusqu’aux pleurs ; et lorsque la jeune fille releva la tête en tâchant de se contenir, elle vit deux larmes contenues briller dans les yeux de l’inconnu, qui, attéré, s’inclina respectueusement devant Herminie, et fit un pas vers la porte pour sortir.

Mais M. Bouffard retint Gerald par le bras, et s’écria ;

— Un instant, vous ne vous en irez pas comme ça !

Nous devons dire que M. Bouffard ajouta mentalement :

— Et mon petit appartement du troisième, donc !

L’on aura tout à l’heure l’explication de ces paroles : elles atténuaient sans doute la généreuse conduite de l’homme ; mais elles témoignaient de l’intelligence du propriétaire.

— Monsieur, — reprit Herminie en voyant M. Bouffard retenir Gerald, — je vous en prie…

— Oh ! ma chère demoiselle, — reprit M. Bouffard, — il n’y a pas de monsieur qui tienne… Vous saurez au moins pourquoi j’ai ramené ici ce brave jeune homme… Je ne veux pas, moi, que vous croyiez que c’est dans l’intention de vous chagriner. Voilà le fait : le hasard m’a fait rencontrer monsieur près de la barrière. — Ah ! ah ! mon gaillard, lui ai-je dit, vous êtes encore bon enfant avec vos jaunets ; les voilà, vos jaunets, et n’y revenez plus, s’il vous plaît ; — et, là-dessus je lui raconte de quelle manière vous avez reçu le joli service qu’il vous a rendu… et combien vous avez pleuré : alors monsieur devient rouge, pâle, vert, et me dit, tout bouleversé de ce que je