Page:Sue - Les misères des enfants trouvés II (1850).djvu/101

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à demi la toile pour lancer un regard terrible à Basquine ! — tu m’entends ?

Et il disparut.

— Je ne répéterai pas la scène, — me dit tout bas la pauvre créature, dont les yeux se remplirent de larmes ; puis elle ajouta :

— Va donc lui dire qu’il ne soit pas fâché…

Aux clameurs répétées de la foule, la Levrasse, ravi du succès de sa pensionnaire, grimpa sur les tréteaux, et, s’approchant de Basquine, lui dit à voix basse :

— Le pingoin flambe… Allons donc !… à quoi penses-tu ? Vite, la scène, la scène !

— Non, — répondit fermement Basquine.

Et elle fit un mouvement rétrograde pour se retirer derrière la toile, nos seules coulisses.

Les cris continuant toujours, la Levrasse salua par trois fois le public avec une grimace grotesque, et fit signe qu’il intercédait auprès de Basquine, pour obtenir d’elle la répétition demandée : mais, malgré son air riant et burlesque, il dit tout bas à sa pensionnaire, d’une voix courroucée :

— Petite gueuse, tu vas fâcher le pingoin et nous faire manquer une recette énorme.

— Je m’en fiche, — dit Basquine d’un ton si brusque, si résolu, que la Levrasse, n’espérant plus vaincre sa résistance, ajouta tout bas :

— Tu me payeras ça !

Puis reprenant son masque grimacier, et s’adressant au public, qui fit silence, il reprit, après s’être incliné de nouveau :

— Je prendrai la liberté de dire à l’honorable société que l’enfant… l’inimitable enfant devant tout à l’heure reparaître dans d’autres exercices de chant et de danse, elle risquerait de se fatiguer trop tôt en répétant ce morceau pour le plaisir de l’honorable société…

Et comme des cris furieux de désappointement accueillirent ces paroles, la Levrasse ajouta de sa voix perçante, qui dominait le tumulte :