Page:Sue - Les misères des enfants trouvés II (1850).djvu/158

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M. le vicomte, devenu cramoisi de fureur, une de ces colères d’enfant gâté dont le paroxysme devint bientôt si violent, qu’il tournait à la convulsion.

La gouvernante, effrayée, dit alors à l’un des domestiques :

— Cet accès de colère peut rendre M. Scipion malade ; allez tout de suite, avec la voiture, chercher de la crème.

— Je t’en f… moi, de la crème… va !!! — murmura encore Bamboche malgré nous.

— Mais où trouver de la crème ? — demanda le laquais à la gouvernante. — En pleine forêt, c’est rare.

— Allez jusqu’à Mortfontaine… vous en trouverez probablement. Vous irez d’un côté, Jacques ira de l’autre. Arrangez-vous : mais tâchez de rapporter cette crème ; sans cela M. Scipion tomberait dans une de ces convulsions si dangereuses pour lui.

Sans doute habitués dès longtemps à obéir aux caprices enfantins de M. le vicomte, les deux domestiques montèrent derrière la voiture après avoir dit aux postillons de prendre au grand trot la route de Mortfontaine.

— Je suis fiché, Scipion, que vous ayez renvoyé ainsi la voiture, — dit la gouvernante, quelques instants après que les chevaux se furent éloignés ; — le temps se couvre, il pourrait bien y avoir de la pluie et de l’orage avant le retour des gens.

— Qu’est-ce que ça me fait, à moi ?… Je veux de la crème, — répondit obstinément le vicomte, et, par passe-temps, il se mit à jeter du sable, de l’herbe et de la terre sur les reliefs de la collation à laquelle d’ailleurs Robert et Régina ne touchaient plus.

À la dévorante attention qu’avaient excitée en moi la vue de ce goûter succulent, succéda bientôt une préoccupation moins matérielle ; il me fut impossible de détacher mes yeux du charmant visage de mademoiselle Régina.

Jusqu’alors, ce que j’avais rencontré de plus joli était Basquine ; mais Régina offrait avec la beauté de notre compagne un contraste si frappant que l’admiration que l’on ressentait pour l’une ne pouvait nuire en rien à l’admiration que l’on ressentait pour l’autre.

Basquine était blonde ; mais son teint, d’abord d’un blanc rosé,