Page:Sue - Les misères des enfants trouvés II (1850).djvu/224

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journée, la surprise que plusieurs particularités de la condition de Claude Gérard, l’instituteur, me causèrent, auraient, je crois, suffi à me distraire de mes préoccupations au sujet de Régina. J’appris aussi, dans la matinée, qu’elle ne devait plus revenir dans ce village : la maison habitée par sa mère jusqu’à sa mort allait être mise en vente.

Tel fut l’emploi de la journée de Claude Gérard, l’instituteur communal. Sauf quelques variétés dans les travaux manuels, elles étaient généralement toutes ainsi partagées.

Après l’enterrement, nous nous rendîmes à la maison, Claude Gérard s’arma d’une sorte de large ratissoire en bois, emmanchée d’une longue perche ; il me donna à porter un seau et une pelle creuse, pareille à celles dont se servent les mariniers pour étancher l’eau de leurs bateaux, et nous nous mîmes en marche, moi fort curieux de savoir ce que nous allions faire, Claude Gérard calme et grave comme de coutume.

En quelques minutes, nous gagnâmes une petite prairie confinant le village, et à l’extrémité de laquelle une source souterraine alimentait le lavoir public, réservoir d’eau alors noirâtre, vaseuse, grossièrement entouré de pierres plates formant parapet.

Claude Gérard, malgré le froid, ôta ses gros sabots, releva son pantalon jusqu’aux genoux, rehaussa sa blouse au moyen d’une corde dont il ceignit ses reins, et me dit :

— Mon enfant, nous allons curer ce lavoir… Il serait malsain pour toi d’entrer dans l’eau… je vais y aller, j’attirerai la bourbe avec ce râteau… tu la mettras dans ce seau, et tu iras la répandre au pied de ces grands peupliers que tu vois là…

C’est avec la plus parfaite simplicité que l’instituteur m’avait donné cet ordre, et annoncé la part qu’il allait prendre lui-même à ce travail pénible, répugnant ; malgré mon ignorance des hommes et des choses, il me semblait exorbitant qu’un instituteur fût non-seulement fossoyeur mais encore cureur de lavoir ; je regardai Claude Gérard avec ébahissement.

Il devina ma pensée, sourit doucement et me dit :

— Cela t’étonne beaucoup, n’est-ce pas, mon enfant, de voir un