Page:Sue - Les misères des enfants trouvés II (1850).djvu/237

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

J’arrivai ainsi non loin du cyprès auprès duquel j’avais le matin laissé la pelle et la houe après m être caché derrière le tronc de cet arbre durant l’enterrement de la mère de Régina.

Soudain je m’arrêtai, frappé de stupeur et d’effroi.

Au lieu de voir à quelques pas de moi la fosse comblée ainsi que nous l’avions laissée le matin et couverte d’une couche de neige, comme le reste du sol, cette fosse avait été ouverte… récemment sans doute, car deux tas de terre noirâtre, s’élevant de chaque côté de ce large trou, tranchaient sur la blancheur de la neige dont le terrain était couvert.

Si cette violation sacrilège n’eût pas atteint la tombe de la mère de Régina, peut-être aurais-je reculé devant la pensée de pénétrer ce sinistre mystère ; mais l’indignation, la colère, redoublèrent mon courage ; sentant néanmoins le besoin d être prudent, je m’avançai sans bruit avec une extrême précaution, et j’atteignis l’arbre vert derrière lequel je m’étais blotti le matin ; je retrouvai là notre lourde pelle de chêne ; la pioche avait disparu.

Jusqu’alors, je n’avais entendu aucun bruit, je prêtais l’oreille avec attention, lorsque tout à coup je sentis une forte odeur de fumée de tabac qui s’exhalait de la fosse ouverte.

Un pressentiment me dit que l’homme dont la figure sinistre m’avait frappé dans la matinée, et qui fumait cyniquement sa pipe en regardant les funérailles, violait en ce moment cette tombe… J’entendis bientôt une sorte de piétinement suivi de plusieurs coups, bruits sourds qui semblaient sortir des entrailles de la terre… Soudain une main invisible lança la pioche sur le revers de la fosse, puis je vis paraître la tête, et ensuite le buste d’un homme… il s’aidait de ses mains pour sortir de l’ouverture béante, et il venait sans doute d’abandonner sa pipe, car il tenait entre ses dents un paquet qui semblait assez lourd…

Je reconnus l’homme que j’avais vu le matin.

Caché par le tronc du cyprès et par l’ombre qu’il projetait, je ne pouvais être aperçu de ce misérable… Je restai immobile, ne sachant que faire, craignant d’être découvert et attendant des circonstances mes seules inspirations.